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de tous ses doutes. Ce livre, où se résume toute l’expérience de l’école alexandrine, était presque le modèle de celui qu’il avait entrepris seul et sans guide à vingt ans. Ce fut un nouveau champ à défricher. Sept années se passèrent encore à ce travail, interrompu, il est vrai, par plusieurs publications. Enfin Wolf donna sa seconde édition de l’Iliade, et presque aussitôt après parurent les Prolégomènes, Prolegomena ad Homerum (1795). Dans le monde des idées comme dans celui des faits, les grands hommes ne font souvent que résumer le travail de l’humanité ; les découvertes considérables sont l’effet du temps autant que l’œuvre du génie. Avant Wolf, l’origine des poèmes homériques et l’existence même d’Homère avaient été agitées à plusieurs reprises. Sa gloire n’en doit pas souffrir : autre chose est de jeter quelques paroles à l’aventure, autre chose de présenter un système ordonné dans toutes ses parties, de fournir les preuves à l’appui, d’en déduire toutes les conséquences. Dans la préface d’une traduction d’Homère, publiée en 1681, de la Valterie fait allusion à ces débats dont les traces se retrouvent dès le XVIe siècle. On y revint plus tard, lors de la querelle des anciens et des modernes, mais dans quelles vues ! avec quel sentiment ! Perrault et d’Aubignac sont impatientés d’entendre toujours louer Homère et la merveilleuse composition de ses poèmes ; un jour, il leur paraît plaisant de dire qu’Homère pourrait bien n’exister que dans l’imagination de ses admirateurs. Telle est l’histoire de toutes les idées vraies qui se mêlèrent dans cette longue lutte à tant d’hérésies. Ceux même qui ont raison ne savent pas pourquoi ; l’enthousiasme n’est guère mieux justifié que le dénigrement ; c’est toujours une bonne foi aveugle ou le plus frivole abus de l’esprit. Les uns sentent qu’il y a dans ces vieilles poésies d’Homère quelque chose de respectable et de sacré ; mais, quand ils veulent en analyser les mérites, ils y cherchent surtout ce qui n’y est pas. Les autres comprennent que l’esprit moderne ne peut rester toujours enchaîné à la remorque de l’antiquité, mais ils ne savent pas affranchir le présent sans sacrifier le passé ; il faut que de part et d’autre il y ait une contrainte exercée, soit pour remonter à Homère et en faire le type unique de toute perfection, soit pour le ramener forcément à nos usages et à nos mœurs. C’est ainsi que Lamotte à ses attaques contre Homère joignit l’offense plus grave de le traduire en supprimant tous les passages que réprouve le goût académique et qu’Homère assurément n’eût pas écrits au XVIIe siècle. Rousseau parle dans l’Émile des propos qui nous surprennent dans la bouche des enfans, parce que nous y attachons un autre sens que celui qu’ils y mettent et que nous leur prêtons des idées qu’ils n’ont pas. On peut expliquer de la même façon comment le hasard guida une fois l’abbé d’Aubignac vers une pensée féconde. Perrault cependant fait observer que les mémoires de d’Aubignac étaient passés en Allemagne, où l’on travaillait sur la question