Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II

Le plus grand titre de Wolf comme critique et comme écrivain, ce sont ses études sur les poèmes d’Homère. Ce fut l’affaire capitale de sa vie, celle qui causa le plus de sensation, on pourrait dire de scandale. Les attaques se reproduisirent sous toutes les formes. Il y en a qui aujourd’hui font sourire. Sainte-Croix insinue quelque part que les doutes de Wolf sur l’existence d’Homère sont un outrage à la mémoire de ce poète[1]. On prononça sérieusement les mots d’ingratitude et de jalousie. La critique, dans ces derniers temps, est devenue moins ombrageuse et moins naïve. Cependant les théories de Wolf sont restées chez nous à l’état de paradoxes. On avait bien, il faut l’avouer, quelques raisons de se tenir en garde. Toujours l’esprit sophistique s’est exercé sans pudeur sur cette vieille poésie d’Homère. Dès le siècle de Périclès, Anaxagore de Clazomène et Métrodore de Lampsaque ne voyaient dans l’Iliade et l’Odyssée que des traités allégoriques sur la justice et la vertu. Plus tard, Dion Chrysostôme cherche à prémunir les habitans d’Ilion contre les mensonges d’Homère, et leur prouve qu’ils sont sortis vainqueurs de leur lutte contre les Grecs. Depuis, on en est venu à douter même de l’existence de Troie, car les modernes ne sont pas demeurés en reste de subtilités ou de rêveries. En 1655, Jacques Hugon reconnaissait dans l’Iliade une prédiction claire de la venue du Messie ; plus tard, Gérard Croës y suivait pas à pas l’histoire des Hébreux ; enfin, presque de nos jours, Joseph Grave, membre du conseil de Flandre, embarrassé sans doute de choisir entre toutes les villes qui se disputent l’honneur d’avoir donné naissance à Homère, le faisait, ainsi qu’Hésiode, originaire de Belgique. Les idées de Wolf ne sont-elles qu’une chimère de plus à ajouter à ces divagations plaisantes ou sérieuses ? N’est-ce qu’un agréable passe-temps, un de ces écarts de l’esprit destinés à relever par un peu de variété la monotonie de la raison et du barn sens ? Est-ce enfin l’occasion de répéter avec Voltaire :

On court, hélas ! après la vérité :
Eh ! croyez-moi, l’erreur a son mérite.

La défense de l’erreur peut être piquante et amuser les loisirs d’un poète qui entre l’erreur et la vérité ne fit jamais un choix définitif. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Le nom de paradoxe, sous lequel on a toujours désigné le système de Wolf, ne saurait trancher la question. Si l’on veut mesurer l’espace qui sépare la vérité et le mensonge, que de place pour les paradoxes ! Voulez-vous, — qu’il s’agisse de sentimens

  1. Voyez Réfutation d’un paradoxe de W. Wolf. Paris, 1798.