Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/858

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

libre cours au mouvement des idées, l’espérance qui repose déjà sur une jeune tête, rien ne manque à la poésie de ce foyer modeste.

Dès le jour où il commença à fréquenter les écoles, Wolf jugea sévèrement ses maîtres ; peu à peu il cessa de suivre leurs cours et prit les habitudes de travail solitaire qu’il conserva dans toute sa jeunesse. Il lut les écrivains de l’antiquité un peu au hasard et dans le désordre où ils s’offraient à lui ; il ne resta pas non plus étranger aux langues modernes : il les apprit seul ou avec le secours d’un maître qui lui-même ne les savait guère. L’étude remplissait tous les momens de Wolf sans cependant occuper toutes ses pensées. On retrouve, dans des notes écrites de sa main, le souvenir d’une de ces liaisons qui embellissent la jeunesse et la protègent contre des séductions plus dangereuses : il avait conçu une vive affection pour une femme très jeune encore, quoique déjà veuve, et, malgré une légère différence d’âge, il songeait, de l’aveu de sa famille, à l’épouser un jour, quand elle tomba malade et mourut. Wolf ne trouva de soulagement que dans une application nouvelle au travail. Ainsi il se préparait par une initiation sévère à toutes les épreuves de la vie.

Depuis long-temps Wolf se sentait à l’étroit dans Nordhausen ; toutes les bibliothèques de la ville et des environs étaient épuisées. Il ne pouvait plus s’arranger des entraves qui l’arrêtaient à chaque pas. Il rêvait la vie de l’université et la salutaire atmosphère de la science ; il aspirait à puiser librement dans ce vaste fleuve qui, jusque-là, n’était arrivé à lui qu’à travers mille obstacles et divisé en minces filets d’eau. Son attente pouvait se comparer à celle des savans hommes qui, à la renaissance, retrouvaient un à un les débris de l’antiquité enfouis sous la couche des siècles. Enfin le voyage de Goettingue fut résolu : Wolf partit en 1776, plus séduit encore par les richesses de la bibliothèque que par la grande réputation de Heyne. Il se présenta cependant à lui dès son arrivée. Heyne, après avoir lutté trente ans contre les plus dures nécessités de la vie, avait enfin trouvé un refuge à l’université de Goettingue, et ses travaux sur Pindare, sur Virgile, avaient recommandé son nom dans toute l’Europe savante. Confident du premier ministre du Hanovre, il partageait son temps entre les lettres et les affaires. Dans cette situation inespérée, saurait-il deviner l’avenir réservé à l’ardent et intelligent jeune homme qu’il avait sous les yeux ? Personne mieux que Wolf ne pouvait lui rappeler les épreuves qu’il avait subies autrefois et la conscience intérieure qui l’avait soutenu. Les choses prirent un autre tour : ils se quittèrent mécontens l’un de l’autre, et cette entrevue fut le principe d’un perpétuel malentendu. Peut-être se glissa-t-il entre eux, dès le premier moment, ce malaise qui trop souvent tient éloignés les hommes doués des plus hautes facultés de l’intelligence et ceux qui n’ont qu’infiniment de science et de talent. Wolf,