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pourrait aussi prétendre à réaliser l’œuvre glorieuse d’un Cosmos antique. C’est ainsi déjà que l’entendait Wolf. L’antiquité pour lui était tout un monde où chaque faculté de l’esprit trouvait son application et son aliment, où l’imagination même pouvait quelquefois s’égarer. Entreprendre de refaire la science de l’antiquité en substituant partout à une tradition mensongère le véritable esprit de l’histoire, rattacher entre elles toutes les parties qui la composent, en agrandir le domaine et en déterminer les limites, défendre les chefs-d’œuvre classiques contre d’injustes attaques ou de banales admirations, puis remonter à l’origine des choses, se retremper à la source de la poésie primitive, surprendre le secret de sa formation mystérieuse, et arriver par l’observation des faits à une de ces lois générales que la philosophie seule se croyait en droit de formuler, telle a été la tâche accomplie par Wolf. Sans cesser d’être de son siècle, il s’est fait le contemporain des vieux âges. Sans dépouiller sa nationalité allemande, il a acquis droit de cité dans toutes les villes de la Grèce et de l’Italie ; il en connaît les mœurs, il en parle la langue ; sous leur costume d’emprunt il reconnaît les étrangers à leur accent ; son oreille est blessée de toutes les fausses notes qui troublent l’harmonie des vers d’Homère.

Wolf fut une de ces intelligences hardies sur la trace desquelles on peut craindre de s’égarer, mais qu’il faut suivre au moins des yeux. De bonne heure on put le pressentir : sa première éducation était venue en aide à ses instincts naturels. Au moment où il naquit (15 février 1759), son père était maître d’école et organiste à Hainrode, petit village situé sur une hauteur près de Nordhausen. Fier de se savoir au-dessus de sa position, il était peu soucieux de l’améliorer. Quand il eut un fils, toute son ambition se reporta sur lui. Il n’avait jamais pu, malgré sa vive curiosité, cultiver la science librement ; il ne négligea rien pour épargner ce regret au jeune Wolf. Long-temps à l’avance il recueillait de côté et d’autre les livres qui pouvaient un jour servir à son instruction. Wolf eut ainsi tous les secours que comportaient l’état de sa famille et les ressources du pays ; mais ces ressources étaient bornées, même à Nordhausen, où l’on était allé s’établir. Ce fut à la fois pour lui un bonheur et un danger. Les efforts personnels qu’il eut à faire irritèrent ses désirs et développèrent jusqu’à l’excès peut-être l’indépendance de son esprit. Sa mère, sans avoir eu, à ce qu’il semble, beaucoup d’influence sur lui, contribua du moins au bonheur de ses jeunes années. Elle adoucissait le caractère inégal de son mari ; dans un état voisin de la pauvreté, elle savait faire régner l’aisance ; tout chez elle respirait cet air de contentement qui prévient les indiscrétions de la pitié. Le tableau de l’intérieur où Wolf passa ses premières années est attachant : la vie prise au sérieux, nul besoin factice, les sentimens naturels conservant toute leur énergie, le calme domestique laissant un