Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/848

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi le désir de Calvin[1] ; mais, soit que le conseil voulût suivre la lettre de la loi, qui condamnait les hérétiques au feu, soit qu’il tînt à honneur de ne pas rester au-dessous de la sévérité des inquisiteurs catholiques, l’opinion la plus cruelle prévalut, et il fut décidé que Genève aurait aussi son auto-da-fé.

Servet n’était nullement préparé à cet épouvantable dénoûment. La conviction profonde où il était de l’innocence et de la vérité de ses doctrines, plus peut-être que l’appui des libertins, l’avait jeté dans l’illusion ; il espérait. Si l’on en croit le récit de Calvin, la nouvelle de sa condamnation accabla son unie, et il tomba dans un désespoir sans dignité :


« Quand on lui eust apporté les nouvelles de mort, il estoit par intervalle comme ravi ; après il jettoit des soupirs qui retentissoient en toute la salle. Parfois il se mettoit à hurler comme un homme hors de sens. Brief, il n’y avoit non plus de contenance qu’en un démoniaque. Sur la fin, le cri surmonta tellement, que sans cesse, en frappant sans poitrine, il crioit à l’espagnolle : Misericordia ! misericordia ! »


Il est permis de ne pas prendre à la lettre ce récit où une haine qui triomphe étale avec complaisance l’humiliation du vaincu. Le doute augmente, quand on voit l’inébranlable résolution de Servet à ne démentir aucune de ses opinions ; qu’il n’ait pas voulu trahir sa foi, qu’il ait refusé de s’humilier devant un ennemi orgueilleux et cruel, ces deux sentimens sont nobles et ne sauraient partir d’une ame commune.

Farel, accouru de Lausanne à la voix de Calvin pour suivre le condamné jusqu’au moment suprême, fit d’incroyables efforts pour obtenir une rétractation. Il conseilla à Servet de demander une entrevue à Calvin, espérant qu’à eux deux ils vaincraient l’obstination de l’Espagnol. Nous ne connaissons que par Calvin les détails de cette entrevue.

Le réformateur entre dans la prison, précédé de deux conseillers qui demandent à Servet ce qu’il peut avoir à dire à Calvin. — Solliciter mon pardon, répond le condamné. Sur quoi Calvin s’adressant à Servet : « Je proteste que je n’ay jamais poursuivi contre toy aucune injure particulière. Tu dois te ramentevoir qu’il y a plus de seize ans, estant à Paris, ie ne me suis point espargné de te gagner à nostre Seigneur, et si tu t’estois accordé à raison, ie me fusse employé à te réconcilier avecque tous les bons serviteurs de Dieu. Tu as fui alors la lucte, et ie n’ay laissé pourtant à t’exhorter par lettres ; mais tout a esté inutile, tu as ietté contre moy ie ne say quelle rage plustôt que colère. Du reste, ie laisse là ce qui concerne ma personne. Pense plustost à crier merci

  1. « Genus mortis conati sumus mutare, sed frustra. » (Ep. Et resp. Calv. Epist. CLXI, p. 304)