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c’était l’ordre de désarmer les étrangers, qui étaient le bras du parti calviniste. Enfin il avait été interdit aux ministres de siéger comme les autres citoyens dans le conseil-général. A toutes ces mesures, où éclate l’opposition de l’esprit laïque contre l’esprit ecclésiastique, et de l’esprit local contre l’influence française, ajoutez qu’au moment même où s’engagea l’affaire de Servet, le consistoire ayant fait défense à Berthelier de se présenter à la cène, on demandait avec instance que ce droit d’interdiction passât du consistoire au petit conseil[1].

Calvin était exaspéré. Il écrivait à cette époque à un de ses amis « Depuis quatre ans, les méchans ont tout fait pour amener peu à peu le renversement de cette église, déjà bien imparfaite. Dès l’origine, j’ai pénétré leurs trames ; mais Dieu a voulu nous punir, ne pouvant nous corriger. Voici deux ans que notre vie se passe comme si nous étions au milieu des ennemis déclarés de l’Évangile. »


Ce fut au milieu de cette crise que Servet entra dans Genève. Si l’on en croit ses apologistes, il n’avait nulle intention d’y séjourner. Voltaire dit même[2], sans autre autorité, je crois, que sa vive imagination, que Calvin le fit arrêter au moment où il quittait l’hôtellerie de la Rose pour s’embarquer sur le lac. Également féconds en suppositions arbitraires, les apologistes de Calvin ont soutenu que Servet venait s’unir au parti des libertins pour faire avec eux la guerre à l’ennemi commun. C’est cette thèse qu’un écrivain genevois, M. Rilliet de Candolle, s’est efforcé récemment d’étayer de toutes les ressources d’une adroite érudition, habile à l’industrieux rapprochement des faits et aux inductions spécieuses.

Essayons de démêler la vérité au milieu de ces assertions et de ces conjectures contradictoires. Ce qui est certain, c’est que Servet n’est point venu à Genève avec le dessein de s’y établir. La première preuve que j’en donnerai, c’est sa déclaration expresse et réitérée qui, dans le cours du procès, ne fut en rien démentie, et aux termes de laquelle il se tenoit depuis quelques jours caché à Genève tant qu’il pouvoit, afin de s’en pouvoir aller sans estre cogneu. Il avoit déjà parlé à l’hoste et à l’hostesse pour trouver une barque pour aller tant hault par le lac qu’il pourroit, pour trouver le chemin de Zurich. Une seconde preuve, tout-à-fait décisive, c’est que Calvin, si visiblement intéressé à présenter l’arrivée de Servet à Genève comme un défi et un commencement d’hostilités, Calvin, qui accusa tout haut les libertins d’avoir défendu Servet pendant son procès, Calvin n’a jamais reproché à celui-ci d’être venu à Genève dans le dessein de le combattre. « Il fut conduit à Genève,

  1. Voyez Rilliet de Candolle, Mémoires et Documens, p. 11-20.
  2. Lettre au président Hénaut, du 25 février 1768.