mais, pour les résoudre, il faut d’abord se rendre un compte exact de l’état politique et religieux où était Genève au moment où Servet y mit le pied.
Deux partis étaient en lutte ouverte : d’un côté, Calvin, autour duquel se groupaient les ministres et les réfugiés ; de l’autre, ceux qu’on appelait les libertins ; à leur tête, le capitaine-général Amied Perrin, le fils de l’héroïque Berthelier, et d’autres citoyens considérables de Genève. Le premier de ces partis dominait dans le consistoire, le second dans les conseils[1]. Chacun d’eux invoquait des sentimens puissans et s’appuyait sur de graves intérêts. La réforme à maintenir, les mœurs à purifier, telle était la mission où Calvin puisait sa force. À ces puissans ressorts de la religion et de la vertu, les adversaires de Calvin opposaient ceux de la liberté et de la patrie.
Il faut rappeler ici qu’en 1532, lorsque Farel vint prêcher la réforme à Genève, plusieurs causes concoururent au succès de cette audacieuse prédication. La première fut sans doute cette cause générale qui agissait alors sur toute l’Europe, et conviait tous les esprits à une révolution religieuse. La même force, secrète et irrésistible, qui arma Luther à Wittenberg et à Worms, qui soutint Zwingle à Zurich, OEcolampade à Strasbourg, Bucer à Bâle, fit triompher à Genève trois pauvres missionnaires, Farel, Viret et Froment. Mais, indépendamment de cette première cause, générale et européenne, il y en eut une autre, locale et genevoise pour ainsi dire, qui ne servit pas d’une manière peu efficace l’entreprise des réformateurs : c’est qu’en rompant avec le catholicisme, Genève coupait le dernier lien qui la rattachait à la domination savoyarde ; par là même, elle resserrait son alliance avec Berne et les autres cantons suisses, et ainsi fortifiait et consacrait irrévocablement son émancipation politique. Voilà le sérieux intérêt qui séduisit à la réforme les citoyens les plus notables de Genève ; leurs motifs furent politiques plus que religieux. Comme le dit fort bien un Genevois contemporain, ils étaient plus dévots à la patrie qu’à l’Évangile[2].
En acceptant la réforme, les patriotes genevois n’en avaient pas adopté l’esprit ni prévu les suites, plusieurs même espéraient y gagner une liberté plus grande dans les opinions et les mœurs ; mais quand ils virent se développer l’esprit nouveau, quand surtout à Farel, Viret et Froment vint se joindre, en 1536, l’austère et inflexible Calvin, cette religion sombre, qui tenait la créature dans une dépendance et un tremblement continuels, ce culte sévère, impérieux dans ses prescriptions, autant que simple dans ses cérémonies, cette morale presque farouche qui faisait