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avecque ses livres à jour prochain de marché de la porte du pallaix delphinal par les carefours et lieux accoustumés jusques au lieu de la hasle de la présente cité, et subséquemment en la place appelée le Charnève, et illec estre brûlé tout vif à petit feu, tellement que son corps soit mis en cendre. Et cependant sera la présente sentence exécutée en effigie avecques laquelle seront les dits livres bruslés. »


A partir du 7 avril, jour de l’évasion de Servet, l’histoire perd sa trace pendant plus de trois mois. Isolé dans un pays étranger, condamné à mort, où cet infortuné trouva-t-il un asile ? C’était la triste suite de sa position exceptionnelle, de l’audace et de la singularité de ses opinions, qu’il ne pût s’appuyer sur aucun parti, avoir des amis et des défenseurs sur aucune terre européenne. Également odieux aux protestans et aux catholiques, l’Espagne et l’Allemagne lui étaient fermées. Comment sortir de France ? Il paraît qu’il s’arrêta au projet de gagner l’Italie, où ses idées avaient une certaine faveur, où peut-être il avait noué des relations, et d’aller s’établir dans le royaume de Naples, placé alors sous la domination espagnole ; là, grace à son art de médecin, il aurait trouvé, parmi ceux de sa nation, une clientelle assurée[1]. Deux routes étaient devant lui, celle de la Suisse et celle du Piémont. Il eut le malheur de se décider pour la première. Pourquoi la choisit-il ? On ne peut le dire avec certitude. Peut-être n’eut-il d’autre motif, sinon que cette route était la plus prochaine et le dérobait plus promptement à la terrible sentence qui était suspendue sur sa vie. Le 16 juillet, il arrive à pied au petit village de Leluysed, où il passe la nuit ; le lendemain, il loue un cheval à Salenone, arrive à Genève, descend à l’hôtellerie de la Rose, et demande, à ce qu’il paraît, qu’on lui procure un bateau pour traverser le lac et gagner Zurich. Cependant son séjour se prolonge pendant près d’un mois, et le 13 août, sur la dénonciation de Calvin, il est arrêté.

Comment expliquer ces vingt-sept jours passés à Genève ? est-ce un hasard fatal ou une aveugle imprudence, ou des desseins hostiles qui retinrent Servet ? venait-il combattre Calvin dans sa capitale même et se liguer avec ses ennemis ? En dénonçant une seconde fois Servet, Calvin fut-il une seconde fois l’agresseur, ou se borna-t-il à prévenir une attaque certaine par une offensive hardie ? Long-temps obscures, ces questions, sans avoir cessé entièrement de l’être à quelques égards, ont reçu de la critique et du temps des éclaircissemens considérables ;

  1. A Genève, Servet fut interrogé sur ce point. Sa réponse est consignée dans le procès-verbal de la séance du petit conseil en date du 17 août :
    A respondu que… Puys se saulva et prit le chemin pour aller contre Espagne, dempuys il s’en est revenu à cause des gendarmes qu’il craignait, et s’en voulait passer par icy et par Allemagne pour aller de là les mons pour exercer la médecine.
    (Pièce inédite du manuscrit de Genève.)