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quelque temps à Lyon, maintenant il se tient à Vienne, où le livre dont je parle a esté imprimé par un quidam qui a là dressé imprimerie, nommé Balthazard Arnoullet. Et afin que vous ne pensiez pas que j’en parle à crédit, je vous envoie la première feuille pour enseigne… »

Trie termine en feignant de s’être laissé entraîner par une pieuse indignation à s’écarter de l’objet de sa lettre :

« Je me suis quasi oublié en vous récitant cet exemple, car j’ay esté quatre fois plus loin- que je ne pensois ; mais l’énormité du cas me faict passer mesure, et voilà qui sera cause que je ne vous feray plus long propos sur les aultres matières. »

Cette lettre était accompagnée du titre, de l’index et des quatre premières feuilles de la Restitution du Christianisme. Ainsi que Calvin l’avait prévu, le fanatique Arneys n’eut rien de plus pressé que de porter le tout à l’inquisition.

Lyon avait alors pour gouverneur et pour archevêque le cardinal de Tournon, si célèbre par son zèle ardent contre les hérétiques. Pour seconder ses vues, il avait demandé à Rome un inquisiteur nommé frère Mathieu Ory, qui prenait la qualité de pénitencier du saint-siège apostolique et d’inquisiteur général au royaume de France et dans toutes les Gaules.

Averti par l’inquisiteur, le cardinal, de concert avec le vicaire-général de l’archevêque de Vienne, écrit à M. de Maugiron, lieutenant-général pour le roi en Dauphiné, qui mande aussitôt Michel Servet. Celui-ci, après s’être fait attendre plus de deux heures, qui furent sans doute employées à faire disparaître tout papier suspect, se présente d’un air fort assuré. On lui parle de certains livres suspects d’hérésie. Il répond « qu’il a souvent fréquenté avec les prescheurs et autres faisant profession de théologie, mais qu’il est prêt d’ouvrir partout son logis pour ôter toute sinistre suspicion. » On visite, en effet, tous ses papiers, sans y trouver ce qu’on cherchait.

Guillaume Gueroult et Balthazard Arnollet sont interrogés tour à tour. On visite l’imprimerie, on interroge séparément les ouvriers, on leur fait voir les feuilles de la Restitution du Christianisme, on leur demande s’ils en connaissent les caractères et quel est le nombre, la qualité et le format des livres qu’ils ont imprimés depuis dix-huit mois. Cette enquête n’ayant produit aucune découverte, il est décidé qu’il n’y a point encore d’indice qui autorise à faire aucun emprisonnement.

L’inquisiteur ne se rebute pas. Il retourne à Lyon, fait venir Arneys et lui dicte une lettre à Guillaume Trie, où celui-ci est pressé d’envoyer à Lyon le traité entier de la Restitution du Christianisme ; mais déjà Calvin, qui suivait de Genève le progrès de son dessein, se disposait