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Au moment où Clémentine allait fermer cette lettre, Mlle de Saint-Elphège étendit la main et lui dit laconiquement : Voyons !

La vieille fille lut lentement des yeux en se pénétrant de chaque expression et, quand elle eut fini, elle murmura avec une espèce de sourire ! — C’est bien !… Allez !… Vos scrupules de conscience remédieront beaucoup aux afflictions de votre belle-tante !…

Le lendemain matin, Mlle de l’Hubac descendit pour la dernière fois dans la salle verte, afin de faire ses adieux à sa tante. La vieille demoiselle l’embrassa silencieusement ; elle avait les yeux secs et les traits contractés par une expression pénible. La Graponnière se tenait à l’écart et essuyait furtivement ses larmes qui roulaient sa moustache grise. Avant de sortir, Clémentine se tourna de son côté, et lui tendit la main en disant avec un sourire affectueux et triste :

— Adieu monsieur de La Graponnière ; je vous remercie de la bonne volonté que vous m’avez toujours témoignée, et vous prie de songer à moi quelquefois…

— Tous les jours de ma vie, mademoiselle ! balbutia le bonhomme en s’inclinant sur la main qu’elle étendait vers lui et en touchant des lèvres son gant de soie.

Les gens de la maison étaient rassemblés dans la grande cour comme le jour des funérailles du marquis ; mais ils avaient une autre attitude. Chacun savait que Mlle de l’Hubac s’en allait pour entrer en religion, et on l’entourait avec des manifestations muettes de regret et de douleur. Cet évènement frappait davantage les esprit que la mort du vieux seigneur, et tous ceux qui avaient suivi le cercueil avec un visage indifférent étaient maintenant pénétrés d’une sensible affliction. Le respect contenait à peine les marques de cette vive sympathie, et, lorsque la noble demoiselle fit un geste, de la main comme pour saluer les anciens serviteurs de la maison de Farnoux plusieurs éclatèrent en sanglots. Josette se jeta à ses pieds en protestant qu’elle voulait la suivre ; mais Mlle de l’Hubac la releva doucement, et lui dit à voix basse : — Non, ma pauvre Josette ; tu es née dans ce château ; ma tante m’a promis de te continuer ses bontés, reste auprès d’elle…

Les valets chargés d’escorter Mlle de l’Hubac attendaient ses ordres, et l’espèce de duègne qui devait voyager à ses côtés s’était rangée près du marchepied comme pour l’inviter à prendre place. Clémentine entra dans la litière en faisant un dernier signe d’adieu et en jetant un dernier regard vers les fenêtre de la salle verte. En ce moment, le souvenir du petit baron occupait sa pensée ; mais presque aussitôt une autre image passa dans son cœur : ses yeux s’arrêtèrent sur le balcon où elle s’était trouvée seule un soir avec M. de Champguérin, et elle murmura avec un accent indicible d’exaltation, de douleur et d’amour :