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Mlle de Saint-Elphège se fit habiller. Un moment après le bourdon de la chapelle et la cloche de l’église du bourg commencèrent à tinter lentement. Ces sons funèbres réveillèrent Mlle de l’Hubac ; elle se releva tout à coup en écoutant et en regardant autour d’elle comme une personne qui cherche à rallier ses souvenirs et ses idées. La vieille demoiselle s’approcha d’elle alors, et, la serrant dans ses bras, elle lui dit : — Ma chère Clémentine, votre grand-oncle est mort, vous le savez ; on sonne pour ses funérailles.

— Oui ! je me souviens !… je me souviens !… s’écria Mlle de l’Hubac avec un sourd gémissement ; il faut prier Dieu !…

À ces mots, elle se jeta à genoux sur le carreau en fondant en larmes et commença les lugubres versets du de profondis.

— Elle pleure ; cela va mieux dit la vieille demoiselle en se tournant vers Josette ; jette-lui un manteau de nuit sur les épaules et laisse-la sangloter et soupirer jusqu’à ce que cette affliction s’apaise d’elle-même.

Les suivantes, qui un moment auparavant riaient autour du foyer, se prosternèrent aussi, les mains jointes et les yeux en pleurs. Ces bonnes filles n’avaient pas grand chagrin au fond de l’ame ; mais l’exemple de Clémentine les gagnait, et elles étaient sensiblement touchées. Ce furent du reste, les seules larmes qu’on répandit aux obsèques du sire de Farnoux. Les pauvres gens qui vivaient sur ses domaines ne le connaissaient pas ; il ne les avait jamais opprimés, mais il n’avait jamais non plus pris part à leur misère, et personne ne pleurait autour de son cercueil. Tandis quel les deux dames et leurs femmes priaient dans cet appartement reculé, il régnait autour du château une agitation qui n’avait rien de lugubre ; de mémoire d’homme, on n’avait vu tant de monde à la Roche-Farnoux : on eût dit un jour de réjouissance ; les villageois arrivaient de toutes parts, en habits de fête, tandis que les marchands de complaintes, les porte-balles, les buvetiers ambulans, et jusqu’aux bateleurs, s’échelonnaient sur la route, comme s’il s’agissait d’une foire franche. Vers le midi, il se fit un grand mouvement dans le château, dont les portes étaient constamment restées fermées à la multitude, et, un moment après, on abaissa la bannière noire hissée depuis la veille au faîte du donjon ce signal annonçait que le convoi se mettait en marche.

Mlle de Saint-Elphège s’était approchée de la fenêtre, et, cachée derrière le rideau entr’ ouvert, elle regardait au dehors. De cette place, on n’avait qu’une échappée de vue sur le chemin qui passait au-delà du rempart. Lorsque le funèbre cortège déboucha à l’endroit même où s’élevait l’oratoire de Saint-Roch, la vieille demoiselle adressa mentalement le dernier adieu à son oncle et suivit le cercueil d’un œil sec jusqu’à ce qu’il eût disparu derrière les rochers de la Grotte-aux-Lavandières-