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puis elle soupira convulsivement et se détournant en fermant les yeux : — Hélas ! mon Dieu ! je ne croyais pas que le mal fût si grand, murmura la vieille fille.

Le soir approchait cependant ; Josette et les deux filles de service de Mlle de Saint-Elphège vinrent arranger la chambre afin que l’on pût y coucher ; elles mirent Clémentine au lit et disposèrent toutes choses pour que sa tante pût dormir auprès d’elle.

Sur le tard. La Graponnière se présenta discrètement : — Mademoiselle, dit-il, je viens vous rendre compte des dispositions que j’ai fait faire ; les hommes de la seigneurie sont tous convoqués ; plusieurs bourgs considérables relèvent de la Roche Farnoux ; ils enverront leur clergé et leurs confréries de pénitens ; les pauvres des paroisses voisines ne manqueront pas d’accourir aussi. Assurément, le cortège funèbre sera des plus beaux et surtout des plus nombreux.

— C’est bien, monsieur, répondit Mlle de Saint-Elphège ; pour tout ce qui regarde l’ordre du convoi funèbre, il faudra suivre le cérémonial de point en point. Vous n’avez pas présent à la mémoire peut-être que le corps doit être présenté à Notre-Dame-des-Templiers ?

— Je n’ai garde de l’oublier, répondit vivement La Graponnière ; et, pour que M. de Champguérin ne prétexte cause d’ignorance, je lui ai dépêché un avis de se trouver devant la chapelle afin de recevoir feu M. le marquis et de l’accompagner en habits de deuil et la tête découverte jusqu’à la limite de ses domaines.

— C’est très bien, je vous remercie, monsieur, dit la vieille demoiselle en le congédiant du geste ; souvenez-vous aussi que, durant les funérailles, vous devez avoir toujours la main ouverte et faire l’aumône sans compter.

Mlle de l’Hubac passa toute la nuit dans un grand accablement de corps et d’esprit de temps en temps elle soupirait et s’agitait mais sans proférer une parole. Mlle de Saint-Elphège veilla long-temps à son chevet, tantôt l’observant avec inquiétude, tantôt faisant un retour sur ses propres chagrins et rêvant avec des transports de douleur, de jalousie et de colère, au mariage de M. de Champguérin. Le cœur gonflé de regrets et de ressentiment, elle repassait dans sa mémoire ses anciennes amours avec cet infidèle, les sermons par lesquels il l’avait abusée et les larmes qu’elle avait versées pour lui. Elle se rappelait avec une sorte courroux contre elle-même la constance avec laquelle elle l’avait aimé malgré ses arrogances, ses dédains, ses perfidies ; puis, songeant à cette union secrète, qui avait mis le comble à ses trahisons, elle sentait son amour se changer en haine ; il lui semblait que le testament du marquis ne l’avait pas suffisamment vengée, et elle tremblait que M. de Champguérin ne se résignât à être heureux dans la pauvreté, avec une femme belle, sage et pleine de vertus .