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froidement ! — Elle avait dans le cœur une autre inclination et se flattait d’un autre mariage ; il était écrit sans doute qu’une femme de notre famille entrerait dans la maison de Champguérin ; c’est à vous que le sort est échu, mais Mlle de l’Hubac l’a su trop tard !

Ce fut ainsi que les deux cousines se séparèrent. Tant qu’elles avaient vécu sous le même toit, leur mutuelle antipathie n’avait point éclaté, elles s’étaient fait une sourde guerre, sans chercher cependant à se nuire réciproquement auprès de leur oncle ; car toutes deux étaient trop loyales et trop fière pour mêler les questions d’intérêt à leur querelle. Il venait d’arriver à leur insu, et par un coup fatal du sort, que l’une restait en possession de cette grande fortune si long-temps attendue, et que l’autre s’en allait déshéritée et dépouillée ; mais en ce moment même, la légataire universelle du marquis de Farnoux enviait peut-être encore la triste épouse de M. de Champguérin. Lorsque La Graponnière lui mit le testament entre les mains, elle le considéra avec amertume et murmura en secouant la tête : — Il n’est plus temps !…

Le bruit s’était déjà répandu dans le château que le marquis avait institué Mlle de Saint-Elphège pour son héritière unique ; toute la livrée était dans l’antichambre attendant ses ordres, d’un autre côté, les tenanciers, les villageois et les autres petites gens dépendans de la seigneurie de Farnoux commençaient à arriver et remplissaient la cour d’honneur. La vieille fille s’avança vers la porte. — Monsieur de La Graponnière, dit-elle à haute voix, je vous charge de faire savoir aux gens de feu M. le marquis de Farnoux, que je les garde tous à mon service. J’entends aussi que vous preniez la surintendance de ma maison : vos fonctions commencent aujourd’hui même, et c’est à vous que remets le soin de commander les obsèques et funérailles selon le cerémonial et les anciens usages de la famille Farnoux.

Aussitôt Mlle de Saint-Elphège quitta la salle verte et alla s’enfermer avec Clémentine dans l’appartement le plus reculé du château. C’était celui qu’avait occupé jadis cette vieille demoiselle de Farnoux dont le nom revenait si souvent à la mémoire du défunt, et l’on n’y avait presque rien changé depuis le jour où Mme de Saint-Elphège et sa fille y étaient entrées pour la première fois. La vieille demoiselle fit asseoir sa nièce, ferma-t-elle-même les fenêtres, et dit en soupirant : — Ici du moins nous ne verrons ni n’entendrons rien…

Clémentine était tout-à-fait revenue de sa longue défaillance, mais elle semblait plongée dans une sombre stupeur et ne manifestait la douleur qui l’oppressait que par de rares et pénibles sanglots. Sa tante s’s’assit à côté d’elle, lui prit la main, et lui dit simplement : — Pleurez, mon enfant, si vous le pouvez, cela soulagera votre cœur.

Mlle de l’Hubac passa la main sur ses paupières sèches et brûlantes.