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— Ma cousine, dit la baronne après un long silence, avant de rien décider pour les derniers honneurs que nous devons rendre à mon oncle, il serait à propos de nous entourer des personnes qu’il honorait de son amitié ; le père Cyprien est parti ce matin pour quelque raison que nous ne savons pas, je vais envoyer quelqu’un le chercher à son couvent. M. de Champguérin avait annoncé qu’il ne monterait pas aujourd’hui à la Roche-Farnoux ; il faut qu’un exprès parte sur-le-champ et le prie de se rendre auprès de nous.

— Vous voulez faire venir-ici M. de Champguérin s’écria la vieille fille d’un air d’indignation contenue.

— Oui ma cousine, je le juge convenable répliqua gravement Mme de Barjavel. Et, sans perdre un instant, elle fit partir son message.

Mlle de Saint-Elphège, pour le moins aussi surprise qu’irritée, fut sur le point de révéler à la baronne tout ce qu’elle avait vu, et de déclarer hautement que la présence de M. de Champguérin à la Roche-Farnoux lui semblait un outrage à la mémoire de son oncle, mais une sorte de pressentiment l’arrêta, elle désespéra tout à coup de son influence, et, entrevoyant le triomphe probable de l’ambitieux gentilhomme qui aspirait à la main de sa nièce elle s’écria avec une amère conviction : — Que de malheurs je prévois dans notre famille ! — Puis, tournant les yeux vers Clémentine, elle ajouta : — Oui, c’est une juste douleur que la vôtre ! Pleurez, mon enfant, pleurez, car la mort de votre grand-oncle vous livre à votre mauvaise destinée.

Mlle de l’Hubac comprit cette vague allusion et détourna la tête pour cacher la rougeur qui se répandait subitement sur ses traits. Apparemment la baronne pénétra aussi la pensée de Mlle de Saint-Elphège, car elle lui dit froidement : — Rassurez-vous, ma cousine, et n’ajoutez pas sans motif à l’affliction de Clémentine. Bientôt, je l’espère, vous reconnaîtrez combien vos prédictions sont fausses.

— Plaise au ciel que je me sois trompée murmura la vieille fille.

Malgré les ordres de Mlle de Barjavel, la chapelle était désertent pas un serviteur ne priait pour le maître sévère et généreux qui venait de trépasser. Le vieux seigneur de Farnoux avait vécu trop long-temps ; personne ne le pleurait ; on parlait de sa mort d’un air étonné, presque réjoui ; la valetaille s’enivrait dans les cuisines en commentant la lugubre nouvelle on eût dit un changement de règne, une révolution, un jour de délivrance pour cette plèbe servile. Le bruit qu’elle faisait ne retentissait pas cependant au-delà des salles basses où se tenait la livrée, et le plus grand silence régnait aux alentours de la chambre mortuaire, dans laquelle La Graponnière, aidé de quelques principaux serviteurs, achevait de rendre les derniers devoirs à son maître.

En attendant l’arrivée du père Cyprien, on avait mandé un pauvre