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blanches comme son fichu de linon. — Il ne faut pas désespérer encore ! s’écria-t-elle ; mon oncle est peut-être tombé en faiblesse. Allons le secourir.

— C’est inutile, madame la baronne, répondit La Graponnière en gémissant hélas ! mon pauvre maître ! il s’est laissé aller dans mes bras et a rendu l’âme sans jeter un soupir…

M. le marquis était très bien ce matin, ajouta le valet de chambre nous l’avons habillé à l’ordinaire, et il est resté sur son fauteuil en attendant l’heure du dîner. Comme la pendule allait sonner midi, M. de La Graponnière lui a présenté sa canne et son chapeau pour passer dans la salle. Il s’est relevé alors avec un visage tout décomposé ; puis il est retombé en agitant un peu les bras, ses yeux se sont fermés, et aussitôt il est mort.

— Je ne le crois pas ! s’écria Mlle de Saint-Elphège avec un geste convulsif, non, je ne le crois pas encore. Puis, faisant un suprême effort, elle traversa la salle d’un pas précipité, et entra dans la chambre du marquis, suivie de La Graponnière. Un moment après, elle reparut. se soutenant à peine, et dit d’une voix presque inintelligible : — Il est vrai,… je l’ai vu,… tout est fini.

Mme de Barjavel s’agenouilla en silence, le visage tourné vers la chambre de son oncle ; Mlle de Saint-Elphège l’imita machinalement. et toutes deux prièrent un moment sans larmes sans douleur peut-être, mais l’âme recueillie dans de graves et pieuses pensées. Ensuite la baronne donna ses ordres au maître d’hôtel, qui était resté debout, la serviette au bras et comme pétrifié entre les battans tout grand ouverts de la porte. — Montez chez Mlle de l’Hubac, lui dit-elle ; je vous charge de lui annoncer le fatal événement… Nous l’attendons ici… Point de cris, point de tumulte dans le château ; qu’on ouvre la chapelle, et que tous les gens de M. le marquis de Farnoux se mettent en prières.

Quelques instans après, Mlle de l’Hubac entra dans la salle verte : elle embrassa silencieusement ses tantes et s’assit, le visage caché dans son mouchoir ; la pauvre enfant, obéissant aux bons instincts de son cœur, pleurait ce terrible vieillard, devant lequel elle avait si souvent tremblé elle oubliait sa sévérité, sa rigueur inexorable, et ne songeait plus qu’aux froides bontés qu’il lui avait parfois témoignées. Les deux dames se taisaient, absorbées dans leurs réflexions ; chacune considérai mentalement le grand changement qui allait s’opérer dans son sort, et calculait l’héritage qu’elle était appelée à recueillir. La fortune du marquis s’était fort augmentée pendant sa longue retraite la Roche-Farnoux ; il laissait environ cinquante mille écus de rentes, lesquels revenaient naturellement et par moitié aux enfans de ses deux sœurs de manière que Mme de Barjavel avait une part égale à celle que devaient partager Mlle de Saint-Elphège et sa jeune nièce, Mlle de l’Hubac.