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époussetait les lambris en lui envoyant des œillades amoureuses. Mlle de Saint-Elphège passa derrière la suivante, qui ne l’aperçut point, et entra chez sa nièce sans se faire annoncer. Elle ne pensait pas la trouver levée à cette heure matinale ; mais Clémentine était déjà assise devant la fenêtre qu’inondaient les clartés vermeilles du soleil levant ; penchée sur son métier à tapisserie, elle travaillait avec tant d’application, qu’elle n’entendit pas sa tante Joséphine qui s’avançait sur la pointe des pieds en promenant autour d’elle un regard investigateur.

La pauvre fille avait entrepris pour occuper ses loisirs un de ces petits chefs-d’œuvre de patience qu’on apprend à confectionner dans les couvens. C’était un tableau en broderie, lequel avait la prétention de représenter des arbres, des rochers, des prairies, et, dans la perspective, un petit édifice, surmonté d’un clocher à arcades, qui ressemblait à quelque chose comme une chapelle, lequel faisait face à un logis percé de grandes fenêtres et dont le toit était orné de plusieurs girouettes. Le vert-d’herbe et le bleu-faïence dominaient dans ce paysage fantastique, où il était possible de reconnaître cependant le vallon ombragé, la petite église de Notre-Dame-des-Templiers, et au premier plan le château neuf de Champguérin. Le site était embelli d’un troupeau de moutons blancs, que gardait une bergère assise sous un grand arbre, au tronc duquel un chiffre amoureux était tracé avec de la soie jaune.

— Quel travail faites-vous donc là. ma nièce ? s’écria Mme de Saint-Elphège en avançant tout à coup la tête par-dessus l’épaule de Clémentine, laquelle se retourna avec un cri perçant et demeura glacée d’effroi à la vue de sa tante, qui examinait le tableau d’un air surpris et courroucé. — Vraiment, mademoiselle, reprit la vieille fille en ricanant, je vous félicite, vous avez fait là quelque chose de précieux ! Mais d’où vient que vous y travaillez en cachette ? Pourquoi ne m’avoir pas montré ce bel ouvrage de vos mains ? Ce qui m’en plaît surtout, c’est ce gros chiffre tracé sur l’écorce d’un ormeau. Une H et un C réunis par des lacs d’amour : c’est fort galant, ma foi !… Nous verrons ce qu’en dira M. votre grand’ oncle.

Dès les premiers mots de cette sortie ironique, Clémentine avait caché mains son visage en pleurs ; mais l’espèce de menace qui lui servait de corollaire lui inspira une énergie soudaine. Elle releva fièrement la tête, et, sentant pour la première fois de sa vie qu’elle était courageuse, elle dit d’un ton résolu : — Faites, ma tante ! allez dénoncer à M. le marquis tout ce que vous supposez… Ni son autorité ni la vôtre ne saurait changer mes sentimens.

— Enfin !… je sais à quoi m’en tenir ! s’écria Mlle de Saint-Elphège tout à la fois furieuse et consternée. Malheureuse enfant ! n’ajoutez pas un mot ; je ne dois pas, je ne veux, pas vous entendre ! Et, après un