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sympathies qui naissent du désœuvrement de l’imagination et des instincts d’un cœur tendre ; mais ce sentiment s’exalta dans la solitude et devint véritablement une passion violente, un amour capable de tous les sacrifices de tous les dévouemens.

Chaque jour, bien avant l’heure où M. de Champguérin arrivait à la Roche-Farnoux, elle venait s’asseoir dans l’embrasure d’une des fenêtres de sa chambre ; la vitrière était à peine entr’ouverte et les rideaux blancs, ornés de lourdes broderies, étaient tirés devant le châssis ; pourtant Mlle de l’Hubac pouvait apercevoir un coin du paysage aride que traversait le chemin, et elle attendait, le cœur palpitant, qu’un cavalier passât comme l’éclair au fond de cette perspective ; puis, lorsqu’il avait disparu dans la route abrupte qui tournait au pied de la Roche-Farnoux, elle rêvait long-temps le cœur enivre d’amour, l’âme remplie d’espoir et de courage.

Mlle de Saint-Elphège observait avec un étonnement mêlé de défiance l’espèce de résignation exaltée qui avait succédé à l’abattement de sa nièce. Sans pénétrer tout-à-fait ses sentiment, elle soupçonnait que Clémentine était soutenue par le secret espoir de pouvoir disposer un jour de sa main et de la donner librement, avec sa part de ce grand héritage si long-temps attendu, à celui auquel elle avait déjà si obstinément gardé son cœur. Cette prévision lui faisait former des vœux extravagans : elle en était venue à désirer et à croire que le marquis vivrait assez long-temps pour voir la belle Clémentine enlaidie et vieillie comme elle. D’un autre côté, M. de Champguérin avait depuis quelque temps un visage qui faisait plaisir à la vieille demoiselle ; son humeur était inégale ; un certain ennui se peignait sur sa physionomie, et l’on eût dit parfois qu’il avait au fond de l’âme quelque dépit furieux qui allait éclater. Il n’avait plus les mêmes empressemens pour la baronne ni le même soin de lui plaire, et il n’était plus question de musique pendant les longues après-midi qu’on passait tout entières à la table de jeu ; aussi la réunion n’était-elle pas fort divertissante le soir dans la salle verte, La Graponnière dormait-il tout d’un somme derrière le fauteuil de son maître. Le père Cyprien, ce trinitaire qui disait la messe dans la chapelle les dimanches et fêtes, était devenu le commensal du château ; mais il ne remplissait pas tout-à-fait la place que le bon abbé Gilette avait laissée vacante. C’était un vieux moine fort encrassé, sans conversation ni science ; tout son mérite consistait en un certain discernement qui lui faisait promptement connaître le degré de considération qu’il devait accorder aux gens, et dans une sorte de réserve honnête qui masquait assez bien sa nullité. Ce personnage automatique jouait à l’hombre cependant, et le l’avait pris en gré pour ce motif ensuite parce qu’il n’était pas d’une dévotion incommode.

Tous les dimanches, à l’heure de la messe. La Graponnière venait