Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/780

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’op- reconnaît enfin qu’elle n’a été ni injuriée, ni traitée inconstitutionnellement par la majorité. L’aveu n’est pas moins éclatant que précieux.

Il est un point cependant sur lequel l’opposition entend ne pas reculer, et elle avise en ce moment aux moyens de consacrer d’une manière solennelle le droit de réunion des citoyens. Que nos lecteurs ne s’effraient pas : nous ne développerons pas de thèse juridique. En principe, le droit de réunion est incontestable dans un état libre ; en fait, il est soumis à des réglemens que le pouvoir ministériel applique suivant les circonstances et sous sa responsabilité. Telle réunion pourra être permise, telle autre pourra être défendue. Qui jugera si le pouvoir ministériel a eu raison d’autoriser ou d’interdire ? L’opinion et les chambres. La question, quoi qu’on en ait dit, est plus politique que judiciaire. Nous désirons vivement que l’opposition envisage la nature de la question et la portée de ses démarches avec la réflexion la plus mûre. Le pays est calme ; la gauche constitutionnelle ne voudra pas l’agiter. Elle a aussi sa responsabilité, quoiqu’elle ne soit pas au pouvoir ; c’est ce que rappelait un de ses orateurs dans le cours de la discussion de l’adresse. Cette responsabilité, elle la compromettrait gravement, si elle levait le drapeau d’une agitation extra-parlementaire dont elle ne serait pas sûre de modérer et d’arrêter les conséquences. L’opposition s’est fort irritée contre l’aveuglement que le ministère et la majorité ont reproché à plusieurs de ses membres ; mais ne donnerait-elle pas à cette expression une justification nouvelle, si elle s’engageait dans des manifestations qui feraient surtout la joie de partis dont, à coup sûr, elle ne partage ni les sentimens, ni les espérances ? Est-il donc si difficile, parmi nous, d’avoir le courage de ses opinions dans leurs nuances et dans leur mesure ? L’homme sage et modéré sera-t-il toujours le complice involontaire du tapageur et de l’exalté ? Il faut cependant, quand on veut être libre, ne pas aliéner son indépendance au profit de passions et d’idées qui ne sont pas vraiment les vôtres.

D’ailleurs, ne sommes-nous pas en pleine session ? Pourquoi l’opposition irait-elle chercher un théâtre en dehors de l’enceinte parlementaire ? Ne peut-elle pas tous les jours monter à la tribune ? Ses principaux orateurs ne viennent-ils pas d’en descendre, après avoir donné d’éclatans témoignages des talens les plus divers ? En vérité, l’opposition n’a pas assez de confiance dans l’efficacité de ses discours et de ses efforts. Pendant vingt séances, elle a sans relâche assailli le ministère en prenant tous les tons, en touchant à toutes les questions, à toutes les fibres, et à quelques jours de distance elle irait faire de nouvelles harangues en dehors du parlement, inter pocula ! Ce serait donner un étrange épilogue à des débats d’une physionomie toujours remarquable et souvent d’une incontestable grandeur. Pourquoi ne serions-nous pas justes pour nos contemporains ? Pourquoi ne dirions-nous pas que la tribune française n’a aujourd’hui rien à envier ni aux souvenirs de notre première révolution ni aux plus beaux jours du parlement anglais ? Et il faut remarquer que, pour les orateurs politiques, plus leur carrière parlementaire se prolonge, plus pour eux les difficultés augmentent. Il leur faut revenir sur leurs traces, défendre les mêmes questions, surpasser leurs propres succès. Cependant la chambre a un certain nombre d’orateurs qui, dans des rangs opposés, triomphent à chaque session d’un pareil embarras. À gauche, M. Odilon Barrot n’a rien perdu de son geste et de sa voix ; son indignation est restée solennelle, et à travers sa monotonie a su parfois atteindre d’heureux