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nement prévînt la nécessité d’une innovation législative sur ce point. Ne pouvait-il pas couper court à la candidature électorale de certains fonctionnaires en leur faisant connaître qu’ils auraient à opter entre leur situation officielle et le mandat de député ? Un pareil langage de la part du gouvernement eût calmé bien des ambitions, et il est à croire qu’elles n’eussent pas persévéré à prendre la route du Palais-Bourbon ; mais ces regrets sont inutiles : c’est une loi qu’il faut aujourd’hui, une loi qui, sans priver la chambre de la présence de fonctionnaires éminens, dont l’expérience lui est indispensable, modifie cependant d’une manière assez sensible la composition du parlement pour être acceptée comme suffisante par les conservateurs progressistes. Il importe en effet qu’une loi pareille soit adoptée par toutes les nuances de la majorité conservatrice, puisqu’elle est destinée à en prévenir la décomposition. Il y a dix ans, il fallait travailler à former cette majorité ; aujourd’hui, l’œuvre politique est de l’empêcher de se dissoudre. Qui en est plus persuadé que M. Guizot ? C’est cette conviction qui lui a dicté la promesse qu’il a faite à la chambre.

Pour le fond, la promesse est positive. Qui pourrait en empêcher l’exécution, quand viendra le jour de l’échéance ? L’état de l’Europe ? Nous concevons que les représentans du pouvoir évitent de prendre d’avance des engagemens absolus, sur l’époque d’une mesure, d’un acte. S’ils n’avaient pas cette prudence, ne les accuserait-on pas de témérité ? Mais, d’un autre côté, tout ce qui arrive, tout ce qui se prépare en Europe, loin de les entraver, ne favorise-t-il pas les développemens réguliers de la France constitutionnelle de 1830 ? La liberté modérée, la liberté cherchant ses meilleures garanties dans son union avec la monarchie, dans un contrat synallagmatique entre les gouvernemens et les peuples, tel est le spectacle que nous offre partout l’Europe, au nord comme au midi. C’est la charte française qu’on consulte, qu’on reproduit : on se modèle sur nous, on se règle sur notre marche, on s’arrête là où nous avons jeté l’ancre. En 1830, nous semblions isolés en Europe ; en 1848, tout le monde veut nous ressembler. La paix a donc aussi sa propagande et ses impulsions victorieuses. Il se trouve que, par la force des choses, nous sommes à la tête de tous les peuples du continent, de leur aveu même, puisqu’ils travaillent à nous rejoindre : situation excellente qui, sans blesser personne, nous investit d’une puissance singulière. Cette puissance, il ne faut pas en abuser, mais nous devons nous en servir avec habileté et modération. Quel est aujourd’hui le gouvernement étranger qui pourrait concevoir la pensée d’exciter les peuples, de tenter une croisade contre la France ? Partout l’amour d’une sage liberté nous donne des alliés, des émules dans la pratique du régime représentatif. Les institutions qui s’élèvent sont autant de boucliers qui nous couvrent. L’intérêt et l’honneur de la France lui conseillent donc au dedans un développement sincère et régulier de ses propres institutions, au dehors une attitude qui prouve notre ferme confiance dans la réunion des forces morales et matérielles dont nous disposons. Les préoccupations de l’esprit de parti sont bien vives, puisqu’elles cachent à certains yeux la grandeur de la France en Europe. Cependant, au milieu même des longs débats de l’adresse, un intéressant épisode a mis en relief cette grandeur. La chambre a entendu des généraux victorieux lui rendre compte, comme on faisait autrefois au sénat romain, de ce qui s’était glorieusement passé en Afrique. Nous n’aurions pas assez d’éloges pour un pareil spectacle, s’il nous était donné par un autre peuple.