était possible de marquer plus nettement l’influence du maître, et, puisque cette influence a été si grande sur Gérard Roussel et ses amis, il convenait d’être précis sur ce point.
La petite communauté de Lefèvre et de ses disciples fut troublée bientôt par la marche rapide des événemens. Les principes de Luther se répandaient de jour en jour ; le clergé gallican, comme on sait, n’y était pas tout d’abord hostile, et l’autorité de Lefèvre y contribuait beaucoup. On ne pensait pas encore qu’il fût question d’un bouleversement radical, on songeait à des réformes partielles, on croyait continuer les traditions de l’église de France aux grands conciles du siècle précédent, et les noms de Gerson, de Clemengis, de Pierre d’Ailly, autorisaient et encourageaient l’adoption des idées nouvelles. Effrayée du péril, la Sorbonne commença à organiser une vigoureuse résistance. C’est le 15 avril 1521 que fut prononcée par la faculté de théologie la fameuse condamnation des principes de Luther. Deux mois après, le 13 juin, parut l’arrêt célèbre du parlement qui interdit de publier aucun livre sur la religion sans la permission de l’autorité ecclésiastique. Cette défense était surtout dirigée contre Lefèvre et ses amis. On le désigna bientôt plus clairement ; un moine, prêchant devant François Ier, s’écria que l’antechrist allait paraître, et dénonça Lefèvre comme un des précurseurs de Satan. La haine devint si forte, le danger si imminent que Lefèvre dut s’enfuir de Paris. Il chercha un asile à Meaux, chez son élève, l’évêque Briçonnet. Les voilà reçus, lui et ses amis, avec empressement. Gérard Roussel est nommé curé d’une paroisse de la ville, et bientôt chanoine et trésorier de la cathédrale ; Roussel, Michel d’Arande, Farel lui-même, obtiennent l’autorisation de prêcher dans tout le diocèse ; et Marguerite, privée des relations qu’elle venait d’établir avec eux, leur écrit de Paris sur tous les sujets de religion qui préoccupaient les ames. C’est à cette date que se placent les mystiques lettres qu’elle adresse à Briçonnet, et dont les bizarreries apocalyptiques contrastent si étrangement, dans sa correspondance, avec la simplicité et le naturel ordinaire de son langage. Cependant une paix si heureuse, une faveur si complète, ne pouvaient durer : les prédicateurs du diocèse de Meaux effrayèrent bientôt Briçonnet lui-même ; Farel commentait à déclarer son adhésion aux doctrines protestantes. Ce fut le signal d’une rupture. Farel, Michel d’Arande, Gérard Roussel, furent obligés d’interrompre leur enseignement ; l’évêque supprimait leurs pouvoirs. Tous se soumirent, excepté Farel, qui embrassa ouvertement la religion nouvelle et alla la prêcher dans le Dauphiné et à Genève.
Il est curieux de suivre Gérard Roussel au moment où la protection de l’évêque de Meaux lui échappe. Cette vie errante d’un jeune prêtre au milieu des troubles religieux du XVIe siècle est un spectacle plein de nouveauté et d’intérêt. Que va-t-il devenir ? Sa pensée est incertaine. Il doute, il hésite entre les partis qui se forment. Son ardeur morale, son besoin d’une foi plus vive, son désir d’une régénération spirituelle, le font incliner au fond du cœur vers la réforme ; mais que d’obstacles l’arrêtent ! C’est une nature douce, humble, affectueuse osera-t-il rompre avec l’église romaine, avec cette église qui l’a élevé et dont il est un des lévites ? Voilà le tourment, voilà l’incertitude douloureuse qui déchire son ame. En suivant ainsi Gérard Roussel dans le neuf et sympathique travail de M. Schmidt, ce n’est pas seulement un homme que j’étudie ; ce n’est pas seulement le prédicateur de Meaux dont nous interrogeons la destinée ; ce sujet