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si bouleversés et si fertiles, quelques sentiers soient tracés nettement par des mains studieuses. Ces travaux, accomplis avec intelligence, aideront un jour l’historien. Je ne parle pas d’une histoire déjà terminée, celle de la poésie, laquelle, bien loin de venir en aide au futur historien du XVIe siècle, devra, si je ne me trompe, l’embarrasser singulièrement. Les fines et savantes études de M. Sainte-Beuve sur les poètes du XVIe siècle ont leur place marquée parmi les plus belles productions de ce temps-ci, et le soin si attentif de l’auteur à corriger sans cesse ce curieux travail, à le compléter, à l’étendre, en a fait, on peut le dire, un vrai chef-d’œuvre d’érudition exacte et d’intelligence poétique. M. Sainte-Beuve a pris d’avance à l’historien du XVIe siècle la plus pure fleur de cette grande époque. Quelle que soit cependant la grace de cette poésie, quel que soit l’intérêt de ces délicatesses savantes, l’autre part du XVIe siècle, la prose, est certainement plus riche. C’est là que se fait le grand débrouillement du monde moderne. Les querelles religieuses, les railleries pantagruéliques, les études parlementaires, l’histoire, les mémoires, les prédications, la politique, la jurisprudence, voilà le vrai terrain, le terrain mouvant et fécond du XVIe siècle. Étudions Calvin et Rabelais, Dumoulin et de Thou, Cujas et Montaigne, et, pour tout couronner, les victorieux auteurs de la Satire Ménippée, si nous cherchons les véritables héros d’un siècle dont le principal caractère est d’avoir été le berceau tourmenté d’une société nouvelle.

À l’ombre des grands noms que je viens de citer, il y en a mille autres qui occupent une place bien curieuse encore et bien intéressante : les moins connus ne sont pas les moins beaux. L’église, qui semble assez déshéritée et comme prise au dépourvu dans la tempête, offrirait peut-être plus d’une figure digne d’étude. Serait-il possible vraiment que dans ces grandes circonstances de la réforme, au milieu de ces redoutables problèmes, l’église gallicane n’eût pas produit un seul témoin digne d’assister avec émotion à ces luttes, et qui en eût ressenti les douloureux aiguillons ? Des illustres docteurs gallicans du XVe siècle aux écrivains sacrés du règne de Louis XIV, l’église de France serait-elle aussi appauvrie qu’elle le paraît d’abord ? Ne se trouverait-il partout que des prélats de cour, des politiques habiles, des évêques brillans, spirituels, investis de leur titre pour un recueil de sonnets ? Entre Gerson et Bossuet, n’y aurait-il pas un homme ? Certes, on pourrait le croire, et les hauts rangs, il faut bien le reconnaître, sont vides. Pourtant, en cherchant bien, les cœurs dévoués, les représentans des émotions d’alors ne manqueraient pas. Un jeune écrivain de Strasbourg, qui a déjà bien mérité de l’histoire de l’église par d’estimables travaux sur les mystiques du moyen-âge, M. Charles Schmidt, a publié une monographie pleine d’intérêt consacrée à un de ces hommes que je cherche, à un de ces dignes martyrs des incertitudes de l’ame. Celui-là était prédicateur de Marguerite de Navarre et s’appelait Gérard Roussel. C’est une figure aimable, souffrante, un témoin durement éprouvé des combats de son temps ; sa vie est un mélange d’enthousiasme et de découragement, de hardiesse et de timidité. Il a vu de près les révolutions religieuses, il y a été mêlé, et il s’en est détourné avec douleur. Il a été poursuivi par la Sorbonne et fort maltraité par les protestans. Il a prêché à Notre-Dame, et il a été insulté, avec Marguerite, dans une comédie injurieuse, sur le théâtre du collége de Navarre. Il a été l’ami de Calvin et il est devenu évêque d’Oleron. Enfin, après une vie de déchiremens spirituels, de luttes morales,