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qui leur manquait pour l’abattre. La folle imprudence de l’assemblée de Nîmes désobéissant aux ordres du roi, et du conseil provincial de Montauban jetant le cri de guerre au moment où toutes les chances favorables de la lutte échappaient au parti, justifièrent d’avance les rigueurs inexorables de Richelieu. Cependant l’intervention habile de Duplessis-Mornai parvint à retarder pour quelque temps la ruine du calvinisme ; il contribua même puissamment, par ses conseils, à amener la conférence de Loudun, où les princes et les églises firent conjointement leur paix avec la reine ; mais la déplorable conduite de l’assemblée et sa déclaration sans résultats immédiats équivalaient pour le parti calviniste à une guerre désastreuse. Le roi, réconcilié avec les princes, devait être un jour assez fort pour punir, à la première occasion favorable, les offenses gratuites de ses sujets de la religion, et peu d’années s’étaient écoulées, quand les affaires de Béarn amenèrent cette catastrophe que la sagesse de Duplessis aurait pu suffire à détourner.

La carrière politique de Duplessis finit au traité de Loudun. Il s’ensevelit vivant dans sa retraite de Saumur, triste comme un prophète qui lit dans l’avenir l’inévitable condamnation de tout ce qu’il aimait en ce monde. Pendant quelques années encore, les respects et les hommages de l’Europe entière se tournèrent vers lui ; il fut le roi de l’intelligence, le maître souverain de l’opinion, comme au siècle suivant un autre grand homme, un autre champion de la tolérance et de la liberté, régnait aussi dans le domaine de la pensée du fond de son manoir de Ferney. Duplessis, comme Voltaire, fut l’oracle de son siècle ; les rois, les ministres, les savans, les capitaines, comme les plus humbles pasteurs des églises, venaient puiser des conseils et des consolations à cette source inépuisable de sagesse, de science et de bonté. Duplessis-Mornai fut appelé, de son temps, le pape des huguenots, tant ses jugemens semblaient infaillibles, ses lumières universelles et ses vertus parfaites. Le malheur qui s’attache aux derniers jours de sa vie lui donne un caractère plus touchant encore et plus humain. Dépouillé, par une perfidie royale, de sa bonne place de Saumur, il assista, désormais sans force et sans espoir, aux désastres qu’il avait prévus, et quand il s’éteignit dans sa maison de La Forest-sur-Sèvres, vers les derniers jours de l’année 1623, le parti calviniste avait perdu tour à tour ses chefs par la trahison et ses places par la guerre. La Rochelle seule gardait encore l’empreinte de cette forte organisation démocratique établie par la réforme et consacrée par l’édit de Nantes. Richelieu était déjà venu. Cependant la politique nouvelle, dont Duplessis-Mornai nous a laissé le magnifique programme, survécut dans l’esprit des peuples et quelquefois même entra dans les conseils du roi. Elle inspira les alliances européennes de Richelieu, l’administration de Colbert ; Turgot en essaya une timide application. Un jour vint enfin où cette politique reparut triomphante : c’était à la révolution française qu’il appartenait de la réaliser dans le monde.


GUSTAVE GARRISSON.