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se laissa aller à une fausse démarche qui le perdit sans retour. C’est un des points les plus curieux de l’histoire de ce temps, et qui révèle le mieux la sagesse politique de Duplessis-Mornai.

La révolte des princes, en 1614, ne fut qu’une dernière lutte entreprise par l’aristocratie contre la royauté. Ni Condé, ni Mayenne, ni Vendôme, n’avaient en vue le bien de l’état ; ils ne voulaient de progrès d’aucune sorte dans la marche du gouvernement ; ils n’avaient souci ni du servage du peuple, ni de la décadence de la France en Europe ; mais la faveur des Concini humiliait leur orgueil, et ils s’armaient pour réclamer la place qui leur était due à la cour et dans les conseils du roi. C’était donc là une affaire de parti, étrangère au bien de l’état, voire même opposée à l’intérêt général, et le calvinisme devait se garder avec soin d’intervenir en faveur des mécontens. La reine-mère n’avait pas violé les édits, et, si les églises avaient quelque plainte à formuler, n’avaient-elles pas leurs députés en cour, leurs synodes qui s’assemblaient d’eux-mêmes et les assemblées générales que la reine ne refusait pas d’autoriser ? Néanmoins le duc de Bouillon, les jeunes ducs de Rohan et de La Trimoille, et le duc de Sully lui-même, mécontens de la cour et naturellement imbus des idées aristocratiques, poussaient les calvinistes à une levée de boucliers que rien ne justifiait en ce moment. Duplessis-Mornai fit des efforts surhumains pour combattre cette funeste influence qui agissait puissamment sur les jeunes esprits. Depuis 1614, on le voit tous les jours sur la brèche, prodiguant ses conseils aux assemblées, aux synodes, aux gentilshommes, aux pasteurs, même aux simples bourgeois de la religion. Une question de sentiment tendait par malheur à renverser les plus sages raisonnemens de Mornai ; le calvinisme se sentait attiré vers ce beau nom de Condé, associé si long-temps à toutes ses gloires et à tous ses malheurs, tandis qu’il avait horreur du seul nom de Médicis, si funeste à la France. Il ne songeait pas que les mêmes noms ne représentent pas toujours les mêmes hommes ni les mêmes principes, et que Condé, plutôt intrigant qu’ambitieux, ressemblait aussi peu à son héroïque aïeul que la faible Marie de Médicis à la grande et sombre Catherine. Tant que les édits étaient respectés, les calvinistes devaient faire cause commune avec la monarchie, et obtenir par leurs loyaux services que ces mêmes édits fussent convertis par les états-généraux en loi fondamentale du royaume. Il ne fallait donc pas garder la neutralité entre les deux partis ; il fallait intervenir franchement et vigoureusement en faveur de la royauté, qui, seule, représentait la France.

Toutefois on est bien forcé d’avouer que les questions, dans l’histoire, ne se présentent jamais aussi simplement, et qu’elles sont toujours obstruées par des incidens ou des querelles de personnes. Les rapports entre le calvinisme et la cour s’aigrissaient de jour en jour ; les calvinistes avaient réclamé, vu la gravité des circonstances, une assemblée générale avant la fin de l’année 1614, et la cour avait désigné la ville de Grenoble, où commandait M. de Lesdiguières, dévoué aux intérêts de la monarchie. Les calvinistes demandèrent instamment qu’on changeât le lieu de l’assemblée, car ils craignaient de ne pas avoir à Grenoble toute la liberté de leurs délibérations, sous le contrôle impérieux de M. de Lesdiguières. Duplessis, après avoir vainement tenté de persuader les églises, s’adressa à la reine et la supplia de se rendre à un désir si respectueux, mais si formel. Heureusement l’époque de la majorité du roi était venue sur ces entrefaites,