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jour de l’Europe une grande république fédérative présidée par la France. Un moment on put croire que ce rêve se réaliserait ; la France tressaillait d’enthousiasme et semblait vouloir accourir tout entière sous les drapeaux de son roi. L’armée la plus formidable de ce siècle, soit par le nombre et la valeur des soldats, soit par l’habileté des chefs, était déjà rassemblée en Champagne. Nos alliés, Venise, la Savoie, les Suisses, les princes allemands, la Hollande, l’Angleterre, n’attendaient qu’un signal pour courir sus à l’ennemi commun. L’Espagne devait trembler devant ce péril inévitable ; mais, chose étrange et que l’histoire a le droit d’enregistrer, elle ne fit aucun mouvement, n’assembla pas même ses armées, comme si elle attendait une intervention imprévue. Ses pressentimens ne la trompaient point ; le roi de France ne devait pas sortir de Paris, et le couteau de Ravaillac suffit pour vaincre cette grande armée française qui semblait marcher à la conquête du monde.


III

La mort du roi frappait du même coup la France et le calvinisme ; Duplessis-Mornai fut admirable de sagesse et de prévoyance au milieu de ce malheur public ; il amena les églises à prêter le concours le plus loyal au gouvernement de la reine-mère, qui se hâta de confirmer les édits en faveur des réformés. La cour traita directement avec Duplessis-Mornai, comme avec le chef reconnu du calvinisme, et les lettres de Marie de Médicis et de ses conseillers abondent en effusions de gratitude ; mais Duplessis, en remplissant ses devoirs de bon citoyen, ne pouvait faire taire sa douleur et son indignation devant l’indifférence coupable de Médicis, qui n’avait pas su venger la mort de Henri IV : « Je plains, écrivait-il à Sully, qu’une méchanceté si horrible, par quelque prudence mal digérée, s’en aille impunie. Qu’il ne soit pas dit en nos jours, enregistré pour la postérité, que le plus grand roy que la France ait nourri et que l’Europe ait vu depuis cinq cents ans, nous ait été si misérablement ôté, et que les auteurs, trop reconnus pour notre honneur, le mènent en triomphe, au lieu d’être traînés au supplice. » Cependant Sully fut disgracié, et d’Épernon, qui avait toujours été en état de rébellion vis-à-vis de Henri IV, d’Épernon, qui ne s’est jamais lavé des soupçons qui montaient jusqu’à lui, jouissait de la plus scandaleuse faveur. Duplessis-Mornai employa tous ses soins à contenir la juste indignation des calvinistes ; il comprit que, désarmés par une longue paix et sans chefs militaires, ils seraient écrasés au premier prétexte fourni par eux. Malheureusement un personnage que l’histoire n’a pas assez flétri, un ambitieux sans talent et sans probité, le duc de Bouillon, lui disputait la conduite des affaires du calvinisme ; le duc de Bouillon voulut faire du parti réformé l’instrument de ses vengeances, et plus tard de sa grandeur ; ses conseils, aussi perfides que ceux de Duplessis étaient sages et honnêtes, tendaient à rallumer la guerre civile le lendemain de la mort du roi ; il engagea le prince de Condé à se mettre à la tête des huguenots, et, s’apercevant bientôt que le prince et le parti calviniste étaient également sourds à ses suggestions, il se vendit à la reine et devint pour quelque temps son espion provocateur auprès des assemblées générales. Duplessis, qui connaissait les projets du duc de Bouillon, réussit long temps à les déjouer ; mais en 1614 éclata la guerre des princes, et le calvinisme, entraîné par l’aristocratie,