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le noble privilège, si chèrement expié, d’avoir pressenti la vérité et d’avoir soutenu la bonne cause, celle de la liberté civile et de l’indépendance nationale. Ils furent véritablement Français, et c’est à ce titre surtout qu’ils ont droit aux sympathies de la postérité impartiale. On éprouve une sorte de consolation, au milieu du triste tableau des fautes et des désastres de la politique française au XVIe siècle, en songeant que les conseils qui mirent la France si près de sa perte furent donnés par des bouches étrangères et inspirés par des intérêts étrangers. Ce sont des Lorrains, des Italiens, des Espagnols, qui conseillèrent la Saint Barthélemy ; et quand par un effort inoui la France se redressa sur le bord de l’abîme où elle se sentait précipitée, ce fut l’instinct de sa nationalité qui la sauva. Henri IV, appuyé sur les sympathies populaires, put s’asseoir sur ce trône promis à la famille de Philippe II. La France dut ses malheurs aux étrangers et son salut aux Français, précieux enseignement de l’histoire ! Les nationalités portent en elles des ressources inattendues, qui surmontent tous les périls quand elles sont bien dirigées. Les nations libres d’agir se sauvent elles-mêmes, car il y a pour les peuples comme pour les hommes une conscience infaillible du juste et de l’injuste, du bien et du mal.


II

Duplessis-Mornai nous a laissé, dans ses lettres et dans ses mémoires, tous les élémens du système gouvernemental que le calvinisme voulait appliquer à la France ; ce système est aussi digne de l’attention de la postérité que les conceptions hardies de sa politique extérieure. Ce qui distingue essentiellement le calvinisme, c’est son esprit de nationalité ; l’indépendance qu’il réclame pour la raison de chaque homme, il l’étend à la patrie, et, si je puis me servir de ce terme, il développe à son plus haut degré l’individualité des peuples. Dans tous les pays calvinistes ; en Angleterre, en Hollande, en Suisse, l’amour de la nationalité est le sentiment le plus profondément gravé au fond de tous les cœurs, c’est le culte sacré également professé par les faibles et par les forts, par les grands et par les petits. Il y a là quelque chose du civis romanes sum, et c’est le secret de bien des prodiges que les lois naturelles des sociétés ne suffiraient pas à expliquer.

La France du XVIe siècle tendait à se décomposer : l’Espagne pénétrait dans toutes les affaires du royaume et imposait sa domination superbe ; les Lorrains favorisaient de toutes leurs forces le démembrement de la France, espérant y gagner un trône ; le peuple, en un mot, mettant son espoir dans Rome et dans l’Espagne, était beaucoup plus catholique que Français. La féodalité semblait renaître, et chaque province réclamait son indépendance : le duc de Mercoeur était souverain en Bretagne, comme Nemours à Lyon, Mayenne en Bourgogne, Montmorency en Languedoc, d’Épernon en Provence, Balagny à Cambrai, Caseaulx à Marseille ; le parti calviniste, violemment rejeté de l’état, occupait un tiers de la France, depuis le Dauphiné jusqu’à la Loire. La Rochelle, Montauban, Nîmes, se gouvernaient en républiques et battaient monnaie. Le roi de Navarre possédait, avec le Béarn, le Bigorre, le Lauraguais, l’Armagnac, le Rouergue, le Limousin. Henri III se trouvait réduit à la royauté de Charles VII, et il n’avait pas la foi de Jeanne d’Arc pour ressusciter la France. Le calvinisme