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Du moins que les ruisseaux m’offrent de doux objets,
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie[1] !

Ce que La Fontaine ne faisait que rêver, qu’effleurer en passant, se développe au XVIIIe siècle dans les poèmes religieux de L. Racine, la Grace, la Religion, dans les poèmes empruntés par Voltaire à un autre ordre d’idées, la Loi naturelle, le Désastre de Lisbonne, les Discours sur l’homme. Là sont exposées, quelquefois bien heureusement, en vers pleins de poésie, des idées philosophiques, des notions scientifiques. La science, traduite dans certains passages de L. Racine avec une élégante et énergique précision, trouve surtout dans Voltaire un interprète enthousiaste. Il rapporte d’Angleterre les découvertes de Newton, il les explique dans sa prose, il les chante dans ses vers. Thompson, un peu auparavant, les avait célébrées dans un poème destiné à animer les funérailles d’une magnificence royale décernées par l’Angleterre au roi de la science[2]. Le même genre d’inspiration anime Voltaire lorsqu’il célèbre à son tour les grandes découvertes de Newton. Il en fait, vers 1723, comme le merveilleux de sa Henriade :

Dans le centre éclatant de ces orbes immenses,
Qui n’ont pu nous cacher leur marche et leurs distances,
Luit cet astre du jour, par Dieu même allumé,
Qui tourne autour de soi sur son axe enflammé.
De lui partent sans fin des torrens de lumière ;
Il donne en se montrant la vie à la matière,
Et dispense les jours, les saisons et les ans
A des mondes divers autour de lui flottans ;
Ces astres asservis à la loi qui les presse
S’attirent dans leur course et s’évitent sans cesse,
Et, servant l’un à l’autre et de règle et d’appui,
Se prêtent les clartés qu’ils reçoivent de lui.
Au-delà de leur cours, et loin dans cet espace
Où la matière nage et que Dieu seul embrasse,
Sont des soleils sans nombre et des mondes sans fin.
Dans cet abîme immense il leur ouvre un chemin.
Par-delà tous ces cieux le Dieu des cieux réside.

Ces vers magnifiques n’ont point épuisé l’enthousiasme de Voltaire. Quelques années plus tard, en 1738, sa poésie s’échauffe encore, s’illumine au contact de la science :

Dieu parle, et le chaos se dissipe à sa voix :
Vers un centre commun tout gravite à la fois.

  1. Voyez Fables, X, 1 ; XI, 4.
  2. A. Villemain, dans son Tableau du dix-huitième siècle, a redit, de cette belle et haute production, quelques passages frappans.