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les connaissances géographiques, physiques, astronomiques, la médecine, l’histoire naturelle, fournissent la matière, mais où l’instruction n’est qu’un prétexte, où le but véritable, c’est l’exercice, trop peu involontaire, de l’art inoccupé des vers, la recherche plus curieuse qu’inspirée d’agréables détails, par-dessus tout le travail ingénieux, mais froid, de la description. C’étaient, on peut le croire, des compositions presque entièrement descriptives que les poèmes savans d’Ératosthène, de Nicandre, de Callimaque, d’Apollonius. Nous le savons par Aratus, dont le poème venu jusqu’à nous, et dans son texte élégant et dans les traductions quelquefois d’une rudesse énergique, quelquefois d’une élégance effacée, qu’en firent à l’envi les Romains, nous représente seul toute cette littérature artificiellement didactique. D’Aratus à Oppien, écrivain autant romain que grec, qui écrit sous Septime Sévère, sous Caracalla, souvent à l’imitation des poètes latins, ses poèmes de la Chasse et de la Pêche, le poème didactique devient une production tout-à-fait factice, qui ne donne plus guère ni instruction, ni plaisir, qui demeure également étrangère à la poésie et à la science, et offre tout au plus le mérite d’une expression ingénieuse et l’intérêt de la difficulté vaincue. Les sujets les plus prosaïques et les plus futiles lui conviendront désormais, pour peu qu’ils se prêtent à ces procédés descriptifs qui ont remplacé le grand art de peindre.

Cette succession des poèmes gnomiques, des poèmes philosophiques et scientifiques, des poèmes purement descriptifs, que je viens de signaler rapidement dans l’histoire générale de la poésie didactique chez les Grecs, a quelque chose de nécessaire qui se retrouve partout. Elle n’a pas manqué, par exemple, à notre littérature.

Nous avons eu, au XVIe siècle, des livres de morale rédigés en vers, sous forme de maximes détachées. Ils exposaient sous cette forme brève, favorable à la mémoire, pour l’enfance, la jeunesse, et même l’âge mûr, la science de la vie. Ce sont nos poèmes gnomiques.

Tels sont les Mimes de J.-A. de Baïf, le meilleur de ses ouvrages, renfermant seize cent soixante sixains d’une bonne morale pratique, et quelquefois, dans leur vieux tour, d’une forme poétique agréable. En voici un échantillon :

Ce n’est pas moy, mais c’est mon livre,
Si tu veux, qui t’apprend à vivre.
Mon livre est plus savant que moy.
Bien souvent mon livre m’enseigne,
Et son conseil je ne dédaigne,
Qui m’a souvent tiré d’émoy.

Tels sont encore les Quatrains de Pibrac[1], cités et vantés par

  1. Cinquante quatrains contenant préceptes et enseignemens utiles pour la vie de l’homme, composés à l’imitation de Phocilides, Epicharmus et autres poètes grecs. Paris, 1554, in-4o.