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à cette dédaigneuse indifférence pour la vie humaine, j’en avais vu trop d’exemples au Mexique pour être encore à m’en étonner. Je regagnai tristement Guanajuato, toujours en compagnie de Fuentes, qui ne manqua pas de me faire arrêter sous l’auvent où était exposée la main du voleur sacrilège. La vue de ce monument d’une justice barbare me rappela une invraisemblance dans le récit du mineur.

— Si j’ai bien compris, lui dis-je, des trois personnages qui assistèrent au duel entre Osorio et le jeune mineur, deux sont morts sans avoir pu rien révéler à ce sujet, et le troisième s’est enfui. Comment donc avez-vous su si positivement des détails que personne n’a pu conter ?

— D’une manière bien simple, reprit Fuentes, j’avais oublié de vous dire que c’est moi-même qui ai tué Osorio ; c’est moi qui avais été le témoin de la scène nocturne du Rio-Atotonilco. Ne vous hâtez pas trop cependant, seigneur cavalier, de voir en moi un spadassin sans cœur, comme ce don Tomas si bien surnommé Verdugo. J’ai donné, il est vrai, plus d’un coup de poignard dans ma vie, mais au Mexique il faut bien savoir se faire un peu justice soi-même. N’avez-vous pas été aujourd’hui au moment de tuer un homme ? et pouvez-vous dire qu’un pareil moment ne reviendra pas, si vous vous retrouvez jamais en face de celui que, ce matin, vous avez voulu frapper ?

Je frémis à cette rude apostrophe, qui me rappelait clairement le danger que je courais en restant plus long-temps à Guanajuato. L’homme contre qui j’avais proféré ce jour-là même une menace de mort était, je n’en pouvais plus douter, le redoutable assassin de don Jaime. On comprend que je ne me retrouvai pas sans quelque satisfaction devant la porte de mon hôtellerie.

— Ah ! c’est ici que vous êtes descendu, dit Fuentes en me serrant la main ; je suis bien aise de le savoir ; j’irai vous prendre demain, et nous passerons encore ensemble une bonne journée.

— Soit, lui dis-je, à demain. Nous nous séparâmes, et je rentrai dans l’auberge. Mon valet Cecilio m’attendait avec autant d’impatience pour le moins que de curiosité. Depuis long-temps il s’était trouvé forcément initié à tous les détails de ma vie, mais rarement il avait eu à me suivre au milieu d’un dédale de plus désagréables surprises. J’interrompis ses questions en lui donnant l’ordre de seller nos chevaux à minuit, car j’étais bien aise d’échapper à Fuentes et surtout aux embûches de don Tomas.

— Désormais, lui dis-je, nous ne voyagerons plus que de nuit ; c’est meilleur pour la santé.

Marchant la nuit et dormant le jour, je me flattais avec raison de déjouer toutes les poursuites ; cependant, peu à peu enhardi par le succès, je rentrai dans les usages ordinaires, et, quand je me retrouvai à la