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crépusculaires. Encore sous l’impression terrible du récit que je venais d’entendre, une sorte de gémissement rauque me fit tout à coup tressaillir.

— Il y a bientôt dix ans, dit le mineur d’une voix sourde, que Felipe s’est précipité. Bien des fois je suis remonté par le puits qui l’a englouti, et ce n’a jamais été sans éprouver l’envie de trancher ce câble.

Et l’insensé brandissait un couteau formidable, comme s’il se fût préparé à exécuter sa folle menace. Je voulus crier à l’aide ; mais comme dans un rêve effrayant la terreur étouffa ma voix, mes mains même se refusèrent à serrer le câble : à quoi bon ? le câble n’allait-il pas être tranché au-dessus de ma tête ! Je jetai un douloureux regard sur le pâle rayon de jour qui teignait les parois verdâtres, je prêtai l’oreille aux bruits vagues qui m’annonçaient que nous approchions du séjour des vivans. Ce jour grisâtre me paraissait si beau ! ce murmure confus me semblait une si douce harmonie ! En cet instant, un tonnerre souterrain retentit sous mes pieds ; la mine sembla mugir par toutes ses bouches comme un volcan qui gronde. L’air refoulé s’engouffra dans l’immense syphon, un souffle puissant tordit le câble comme un fil de soie, et, nous secouant comme le vent secoue les atomes lumineux qui nagent dans un rayon de soleil, nous heurta violemment contre les parois du puits. La torche s’éteignit, mais j’eus encore le temps de voir le terrible couteau échapper aux mains du mineur et tomber en tournoyant dans le vide.

Cascaras ! un couteau neuf de deux piastres ! s’écria une voix que je reconnus cette fois pour celle de Fuentes. J’eus à peine prononcé ce nom, qu’un bruyant éclat de rire retentit au-dessus de moi. C’était Fuentes, en effet, qui venait de me servir de guide et de jouer le rôle du vieux mineur en comédien consommé. L’empressement que j’avais mis à me séparer de lui l’avait piqué au vif, et cette mystification était sa vengeance.

— Savez-vous, seigneur cavalier, continua-t-il, que vous n’êtes pas facile à effrayer ? Dans une circonstance qui aurait fait jeter les hauts cris au plus brave, vous n’avez pas daigné seulement crier à l’aide.

— Je suis ainsi fait, repris-je avec une effronterie devant laquelle il dut s’avouer vaincu, et vous en êtes pour vos ridicules efforts.

Le malacate s’était arrêté, et cette fois pour la dernière ; notre ascension était enfin terminée. Desiderio fut détaché le premier, et j’attendis mon tour dans une fiévreuse anxiété. Quand on eut délié la courroie qui me retenait au câble, j’eus besoin de toute ma volonté pour résister à un vertige éblouissant ; je sentais ma force à bout. Je foulai bientôt enfin la terre avec un ineffable sentiment de bien-être ; jamais le soleil ne m’avait paru si beau, si resplendissant que ce jour-là.

Dans l’intervalle qui s’écoula jusqu’au moment où, d’après les ordres