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revers irritaient cette ame énergique au lieu de l’abattre. Sur le rivage couvert de ses débris, il rêvait une plus puissante expédition et dictait au bruit de la tempête des ordres pour l’armement d’une nouvelle flotte. Il commanda qu’on fit à Séville de grands approvisionnemens de bois ; il pressa les rois de Portugal et de Grenade de lui fournir des vaisseaux, enfin il écrivit aux conseils des villes maritimes de Galice, des Asturies et de Biscaïe, pour qu’on mît embargo sur tous les navires en état de tenir la mer, et qu’on les lui envoyât à Séville[1]. Dans l’espace de moins de six mois, il prétendait y réunir la flotte la plus considérable qu’on eût vue dans aucun port de l’Espagne. En attendant, quelques courses dans le royaume de Valence, le siège de plusieurs forteresses, entre autres de Monteagudo, qu’il enleva à don Tello son frère[2], occupèrent son activité et trompèrent son impatience jusqu’à l’entrée de l’hiver. Alors il revint à Séville, où sa présence donna une activité nouvelle aux préparatifs maritimes. Chaque jour il visitait les arsenaux, inspectait les navires, exerçait la chiourme. Il prodiguait l’or et n’épargnait rien pour exciter l’ardeur des ouvriers et des matelots.

Malgré les petites expéditions dont je viens de parler, les négociations n’étaient pas entièrement interrompues, et même, suivant les casuistes politiques du moyen-âge, la trêve de Tudela pouvait être considérée comme existant encore, les hostilités n’ayant eu lieu qu’entre don Pèdre et ses ennemis particuliers le comte de Trastamare et l’infant don Fernand. Mais le roi d’Aragon voulut prendre sa revanche de l’incendie de Guardamar. Au mois de mars 1359, il entra en Castille avec une armée nombreuse, brûla la ville de Haro et fit mine d’assiéger Médina-Celi[3]. Après cette incursion de quelques jours, alarmé des grands armemens qui se faisaient à Séville, il revint précipitamment en Aragon, et ne s’occupa plus que de mettre en état de défense les côtes de Catalogne et de Valence.


II.

Au moment où la flotte castillanne, parfaitement armée, se préparait à quitter le Guadalquivir, le cardinal Gui de Boulogne arriva en Espagne avec une mission du saint-père. Il venait renouveler les tentatives d’intervention pacifique où avait échoué son prédécesseur, le cardinal Guillaume. Instruit que don Pèdre reprochait à ce dernier sa hauteur et surtout sa partialité pour l’Aragonais, il crut être plus heureux en affectant de suivre une tout autre politique, et débuta par caresser cet orgueil si facilement irritable. « Le pape, dit-il à don Pèdre,

  1. Ayala, p. 250. 251.
  2. Ibid., p. 252.
  3. Zurita, t. II, p. 291.