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J’accusais Tomas Verduzco de l’assassinat d’un jeune homme qu’il ne connaissait pas la veille.

— En êtes-vous sûr ? interrompit l’homme en me jetant un regard sinistre.

— Demandez-le à ce malheureux, repris-je en montrant du doigt Planillas.

À cette réponse, Planillas se leva comme poussé par un ressort ; il paraissait avoir repris toute son assurance.

— Je n’ai jamais rien dit de semblable ; mais votre seigneurie ne connaît donc pas le respectable cavalier Verduzco, s’écria-t-il d’un air ironique, pour parler ainsi devant lui ?

Je regardai celui qui m’était ainsi dénoncé comme si je le voyais pour la première fois. Une hallucination rapide replaça sous mes yeux le corps sanglant de don Jaime, son agonie, ses derniers instans, et tout son bel avenir, tranché par le couteau de l’homme qui était devant moi.

Ah ! vous êtes don Tomas Verduzco…

Je ne pus achever. En proie à une sorte de vertige, et sans me rendre compte de ce que j’allais faire, j’armai un de mes pistolets. Au craquement de la batterie, l’inconnu devint livide, car les Mexicains de la basse classe, qui supportent sans sourciller les éclairs du couteau, frissonnent devant le canon d’une arme à feu maniée par un Européen. Cependant il ne bougea pas, Fuentes se jeta entre nous.

— Doucement ! seigneur, doucement ! s’écria-t-il. Cascaras ! comme vous prenez les mœurs du pays !

— Ce diable de Planillas, dit à son tour l’inconnu avec un rire contraint, est toujours disposé à la plaisanterie ; mais l’idée de me présenter sous le nom de don Tomas est, ma foi, par trop bouffonne. Votre seigneurie lui en veut donc bien à ce don Tomas ?

Mon emportement me parut ridicule et se dissipa comme par enchantement.

— Je ne le connais pas, répondis-je un peu confus et en reprenant mon sang-froid ; je ne sais comment cet homme s’est trouvé mêlé à mes affaires, mais je crois devoir à ma sécurité de ne faire aucune merci à de pareils assassins, quand le hasard les envoie sur ma route.

L’inconnu murmura quelques mots inintelligibles. Pour moi, pensant avoir trouvé dans cet incident une excellente occasion de me débarrasser de mon nouvel ami Desiderio, dont la société commençait à me peser, je saluai avec empressement le groupe encore ému, et je piquai des deux ; mais j’avais compté sans le désoeuvrement de Fuentes, et je n’avais pas fait cent pas qu’il me rejoignit.

— J’ai peut-être eu tort, me dit-il, d’intervenir dans cette affaire et de vous empêcher de loger une balle dans la tête de ce drôle à la figure