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faire, vous que l’Autriche accueille pour vous confier l’éducation de la jeunesse polonaise ! vous dont le zèle schismatique des convertisseurs russes ne redoute pas cependant les doctrines, parce qu’elles sont avant tout des doctrines d’obéissance ! vous qui avez été les protégés et les hôtes de la grande Catherine ! vous enfin qui étendez à toutes choses l’autorité du saint-siège quand un pape s’est trouvé pour écrire à Marie-Thérèse que l’invasion de la Pologne était « dans l’intérêt de la religion, » quand un autre a pu jeter l’anathème aux insurgés de 1831 !

Vis-à-vis de Lelewel et des républicains, vis-à-vis de certains exaltés qui ne gardaient de mesure ni dans l’ardeur, ni dans le choix de leurs vengeances, il fallait lutter en sens contraire. Lelewel imaginait que l’émigration pouvait travailler activement et directement à l’œuvre matérielle de la délivrance ; ce qui distinguait son parti des démocrates, c’était le besoin d’en venir tout de suite aux mains, l’ennui des prédications dogmatiques. Les démocrates n’avaient foi qu’à cette lente prédication. Mieroslawski le dit bien à sa manière, toujours un peu étrange.


« Qu’est-ce que toute initiative révolutionnaire au XIXe siècle ? Ce n’est plus un messie créateur, une incarnation humanitaire comme aux temps héroïques. Dieu n’envoie plus de sauveurs particuliers et tout faits aux nations, mais seulement des matrices appelées idées. C’est aux nations à couler dans ces moules la quantité de héros de plâtre qu’il leur faut pour chaque révolution. Ce n’est ni solide, ni original comme une statue antique ; mais avec du plâtre, de l’attention et de la patience, on en a tant que l’on veut. Le tout, c’est de les cuire proprement au feu du canon. »


La Société démocratique, tout entière à ce travail d’idées, refusait à Lelewel lui-même de se fondre avec les partis d’idées contraires aux siennes pour agir plus tôt ; mais surtout elle condamnait et proscrivait cette fureur d’agir qui suggérait des plans horribles à toute une portion anarchique de l’émigration, et qui se créa petit à petit un foyer chez les communistes de Posen. De Posen, de Paris et de Bruxelles sortaient des brochures incendiaires : les Vérités vitales du peuple polonais, la Guerre de partisans, et une foule d’autres où l’on invoquait contre l’étranger le secours déshonorant du poignard ou du poison. Mieroslawski se distingua plus que personne par l’énergie avec laquelle il combattit ces abominables excès dont la vraie démocratie devait être la première à souffrir. Il ne cessa de protester contre cet absurde fanatisme qui « prenait le bandit pour l’idéal du guerrier. »

A partir de 1841, il devint cependant de plus en plus difficile aux démocrates de modérer la Pologne militante, de la contenir dans les préliminaires abstraits d’une longue propagande, d’ajourner enfin l’œuvre pratique et périlleuse d’une conjuration effective ; mais de 1832 à