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avaient livré ne mordrait jamais plus ; — des familles de chambellans qui s’imaginent qu’on peut être un corps respectable dans une société à laquelle les Cosaques du Don et les douaniers autrichiens crachent deux fois par jour à la figure ; — des familles qui n’ont de polonais que la laine qu’ils tondent sur des moutons polonais et les armoiries gagnées jadis par de véritables Polonais ; — des familles ambulantes qui ont du bien dans les trois Polognes et qui n’ont de devoirs dans aucune, qui, toujours affamées, voudraient toujours, pour se rassasier, attacher le paysan à la glèbe, sauf à cacher leur cupidité, comme l’anonyme gallicien, derrière la fausse sentimentalité du goût qu’elles affichent pour la vie patriarcale, » J’ai dit dans quelle mesure et sous quelle réserve il fallait accepter des jugemens si passionnés. Je ne saurais cependant résister à l’envie de citer encore ces pages entraînantes du pamphlet de Mieroslawski : l’homme est là tout entier. C’est la thèse de Marius dans Salluste : Majorum gloria posteris lumen est.


« … Voilà les comtes d’une province qui, à elle seule, a produit les deux tiers des illustrations de la république. C’est, en effet, de cette Halitzie ou Russie-Rouge, aujourd’hui livrée aux Ajax du bagne, qu’ont jailli coup sur coup pendant deux siècles, comme d’une fournaise incandescente, toutes ces flammes mortelles aux Moscovites, aux Tartares, aux Turcs, qui s’appelaient Tarnowski, Zolkiewski, Jablonowski, Lubomirski, Sobiewski. Ah ! vous aussi, hommes aux colères héroïques, vous étiez durs au peuple qui grouillait à cent coudées au-dessous de votre galop triomphal, mais du moins couriez-vous l’arracher des mains des infidèles, fût-il déjà en vente dans les bazars d’Andrinople. Vous avez crevé sous vous la république comme un cheval de bataille ; mais elle n’a jamais regimbé sous votre éperon, parce qu’elle savait que c’était pour enfoncer l’Asie avec son poitrail.

« … Très illustres et puissans woïewodes, castellans et starostes, grands et petits hetmans, régimentaires et maréchaux, primats et chanceliers, vous tous enfin, maçons cyclopéens de la république oligarchique, qui avez arrêté court la croissance du cercle civique pour pouvoir vous servir des masses populaires en guise de briques et de mortier, ce que vous avez construit n’était plus une démocratie, il s’en faut ; mais enfin, c’était imposant, magnifique et surtout rudement gardé ! Descendez, s’il vous plaît, de votre empyrée et voyez un peu ce qu’est devenu tout cela… Vous nous eussiez peut-être pendus, nous autres démocrates, entre le Cosaque Nalewajka et n’importe quel Tartare ; mais vous eussiez préféré vous y pendre vous-mêmes, plutôt que de vous faire les chambellans d’un empereur d’Allemagne ou les écuyers d’un tsar de Moscou. Aussi bien, ce n’est pas vous, oligarques par la force, le courage et l’orgueil national, ce n’est pas vous, patriotes à la façon des patriciens de Rome et des tories d’Angleterre, qui, d’une main, charbonneriez des injures sur les portes de nos prisons, et, de l’autre, entameriez une guerre de brochures avec le prince de Metternich, le tout pour fléchir la miséricorde de l’empereur Nicolas… Pères de la république, tout aristocrates que vous fûtes, jugez entre l’aristocratie et la démocratie polonaise au XIXe siècle ! »