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qui leur donnait la liberté civile dans le grand-duché de Varsovie, celles de la Prusse, qui leur donnait, en Posen, le droit de propriété. Elle a osé davantage, elle a aidé les démocrates, elle a consenti d’avance aux sacrifices qu’exigeaient leurs doctrines ; elle leur a fourni d’héroïques champions. » Et Mieroslawski continue avec une énergie croissante à revendiquer pour son drapeau toute cette glorieuse élite.


« Nous ferions tous comme Louis Mycielski, s’écrient les aristocrates, mais redonnez-nous les guerres de 1794, celles de l’empire ou celles de 1831. — Ils ont compris l’indignité de ce sophisme, ceux qui, porteurs d’un nom illustre, ont soutenu pendant quinze ans, sans se débander, la retraite par laquelle les démocrates ont couvert la défaite des constitutionnels de 1831. Ceux qui ont sérieusement choisi entre la patrie et l’étranger prennent la guerre comme elle vient. Tout est guerre dans l’histoire d’une nation asservie qui résiste à l’anéantissement. La propagande et les conjurations sont aux campagnes insurrectionnelles ce que, dans une campagne ouverte, les évolutions stratégiques sont aux sièges ou aux batailles. Dans une guerre nationale, un parti qui, pendant quinze ans, couvre la retraite de la nation vaut bien un régiment qui, pendant vingt-quatre heures, couvre la retraite de l’armée, et, mort pour mort de gentilhomme, le gibet de Zawisza égale parfaitement les biscaïens qui ont déchiré Mycielski. Ils ont compris que toutes les armes se valaient, ceux qui ont jeté leur blason dans le ruisseau populaire pour que le knouteur seul pût deviner à la blancheur de leur peau qu’ils n’étaient pas nés à la charrue ! Et ceux donc qui ont enseveli l’éclat de leur origine sous des sobriquets de juifs et de laquais pour s’éteindre avec les secrets de la nation dans les oubliettes du Tyrol et de la Transylvanie ! la démocratie, moins curieuse que le knouteur, n’a point regardé à leur peau, mais à leur cœur, pour les adopter. La patrie, moins curieuse que l’aristocratie, n’a point regardé à leur arme, mais à l’emploi qu’ils en ont fait, pour les placer dans son martyrologe. Fantassins ou journalistes, cavaliers ou émissaires, artilleurs ou conjurés, mineurs ou plongeurs, ils sont tous morts soldats de la révolution. Nul ne manquera pour sûr à l’appel du jugement dernier, quand le Christ demandera aux hommes ce que chacun a fait de ses frères. »


La raison, la vérité, sont, à n’en pas douter, du côté de ces affirmations éloquentes. Je crois, je veux croire, avec Mieroslawski, que la grande majorité de la noblesse polonaise appartient sans réserve à la cause démocratique ; je regrette seulement que le fier prisonnier de Berlin n’ait pu s’empêcher de rendre injures pour injures aux aristocrates, et ces violentes représailles qu’il leur inflige sentent par trop l’amertume de la captivité. Qu’est-ce que l’aristocratie polonaise dans cet ardent réquisitoire ? « Une centaine de familles, héritières de ces perfides oligarques qui, au dernier siècle, ont aidé les puissances à démembrer la patrie, qui ont vendu les tombeaux de leurs pères pour troquer leurs dignités viagères de woïewodes ou de castellans contre des titres perpétuels de comtes ou de barons, qui se sont interposés, moyennant salaire, entre la nation et l’étranger, pour garantir que l’ours qu’ils