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aux dieux infernaux de l’insurrection. » Elles ne se trouvaient jamais absolument mal du régime de l’étranger, parce qu’étant sujettes de plusieurs puissances, elles n’étaient ainsi trop durement froissées par aucune. « Ces gros mangeurs de rentes, dit encore Mieroslawski, possèdent deux rateliers de rechange pour les manger en paix : l’un en Gallicie, pour quand il pleut dans la Poznanie- l’autre en Poznanie, pour quand il vente en Gallicie : ils ne sont donc jamais réduits à l’extrémité de rétablir une Pologne indépendante et démocratique pour vivre libres ou mourir en honnêtes gens. » Ce que Mieroslawski n’a pas dit, ce que la passion l’empêchait de reconnaître, c’est que plusieurs parmi ces opulens magnats, réellement animés d’intentions droites et généreuses, exerçant une action protectrice dans l’étendue de leurs terres vastes comme des estates irlandais, peuvent se sentir ainsi honorés et contens du bien réel qu’ils font autour d’eux. Il suffit de citer les noms universellement respectés des Radziwill en Posen et des Sapieha en Gallicie. Il est juste seulement d’ajouter, pour excuser les emportemens des démocrates, qu’il faudrait citer bien d’autres noms si l’on voulait compter tous ces grands seigneurs sans tête et sans cœur, ceux surtout de la Gallicie qui, jusqu’aux dernières années, allaient périodiquement dévorer à Vienne, en compagnie d’une danseuse, le sang et les larmes de trois villages, ou jouer les villages eux-mêmes à Carlsbad sur le tapis vert d’un casino ; s’il fallait aussi compter tous ces nobles fainéans qui passaient le temps dans leurs châteaux à feuilleter le Blason de Niesiecki, à méditer sur M. Paul de Kock, à battre leurs paysans et à soigner leurs écuries.

On ne saurait mieux se figurer cette lutte acharnée des démocrates et des aristocrates qu’en lisant l’une après l’autre la lettre du gentilhomme de Gallicie au prince de Metternich et la réponse virulente sortie de la prison de Mieroslawski. Le débat entre la révolution et la contre-révolution, ce n’est pas autre chose que la lutte de ces deux partis dont chacun prétend avoir pour lui la majorité de la noblesse. Écoutez l’anonyme de Gallicie. Les démocrates ne sont que « le parti du désordre social, le rebut de toutes les classes, de mauvais prêtres, de la noblesse de surface, des intendans infidèles, d’anciens sous-officiers, de jeunes démagogues, des propriétaires ruinés, des fermiers endettés, de la valetaille, des communistes. » Interrogez, au contraire, la réponse de Mieroslawski. « La majorité de la noblesse veut se retremper dans les masses populaires d’où sortaient ses ancêtres ; elle a vu que son seul avenir possible était de se fondre dans la mine profonde, inépuisable et encore inexploitée des masses agricoles ; elle travaille depuis des années à se laver de ses péchés séculaires, mais qu’est-ce que des années contre des siècles ? Et cependant elle s’est mise au service de Kosciuszko pour armer avec lui les paysans ; elle a secondé les intentions de Napoléon,