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de 1845 avait compris qu’il fallait réduire et concentrer la résultante de toutes les forces de la Pologne insurgée sur deux, et, s’il était possible, sur une seule des trois puissances co-partageantes. Le troisième article des manifestes primitifs de la Société démocratique était donc abrogé, de même que le second, par le cours même, par la nature seule des événemens, aussitôt que des événemens quelconques se seraient produits.

Restait, encore une fois, restait le premier, et celui-là ne pouvait que s’éclaircir, se développer davantage à la pratique, parce qu’il était conforme à tous les besoins. C’est aussi celui-là qui mérite les explications les plus amples, parce qu’il représente l’effort le plus caractéristique et le plus heureux de la Société démocratique polonaise.

Ces explications ne sont nulle part aussi complètes que dans l’œuvre récente de Louis Mieroslawski, une œuvre remarquable et singulière, où l’on sent d’un bout à l’autre le souffle véhément d’une grande ame, tout en s’étonnant de voir çà et là cette sincère éloquence interrompue et comme pailletée par des traits de bel esprit. Je veux laisser, autant que possible, cet héroïque avocat de la cause démocratique défendre lui-même ce que cette cause a de plus propre, non point la constitution républicaine, dont il ne parle pas, non point le rétablissement de la Pologne dans les limites de 1772, dont il écarte jusqu’à la pensée, non point tous ces accessoires désastreux de la révolution, mais la révolution elle-même, c’est-à-dire la réforme de la propriété aboutissant à l’égalité des droits et à l’indépendance de l’état. J’insiste d’autant plus sur ce curieux plaidoyer qu’il ne m’a point semblé qu’on y ait fait encore une attention suffisante. J’emprunte le texte même de Mieroslawski dans ses plus notables endroits, resserrant seulement un peu, pour notre usage, la chaîne de ses déductions.

« Tout écolier sait aujourd’hui qu’il n’y a jamais eu de race conquérante en Pologne. La noblesse n’y fut donc long-temps qu’une élite mobile et changeante de la race indigène… Une coutume immémoriale, d’ailleurs sans contrôle, gratifiait de noblesse quiconque savait signer son nom et lire dans un livre de prières. Il y a même de vastes contrées sur les deux rives du Bug et de la Narew, ainsi que dans les provinces méridionales, où le plus pauvre et le plus ignorant laboureur se prétend encore l’égal d’un woiewode, sur la foi des traditions nationales… Cette fameuse noblesse de Pologne, régnant et gouvernant en masse, n’était donc en soi que la portion émancipée de la totalité nationale, une vraie démocratie… Jusqu’au second roi électif, Étienne Batory, le cercle de cette noblesse, c’est-à-dire des citoyens, s’était sans cesse étendu, puisant dans les rangs du peuple par le canal de l’armée ; mais, sous son successeur, Sigismond III, cette émancipation s’arrêta, et, comme les citoyens s’étaient accoutumés à ne se croire faits que pour les délibérations et pour la guerre, ils rejetèrent toutes les charges du travail sur la multitude encore non émancipée. C’est le sort qui eût frappé les plébéiens de Rome, si la guerre n’avait pas fourni des esclaves aux Romains.