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Don Pèdre, affectant la surprise, remercia l’assemblée, et, sans s’expliquer sur l’offre qu’on lui faisait, témoigna combien il était flatté d’un hommage auquel il était loin de s’attendre. Mais l’infant commençait à s’apercevoir qu’il était pris pour dupe. Il éclatait en reproches. Pour l’apaiser, le roi lui promit de tenter un nouvel effort. « À Guernica, dit-il, l’assemblée réunie à la hâte n’a fait entendre que le vœu de quelques cantons. À Bilbao, la principale ville de la seigneurie, j’obtiendrai plus facilement que les Biscaïens vous rendent hommage. D’après les privilèges de la province, c’est dans cette capitale seulement que la reconnaissance du seigneur doit avoir lieu[1].

Quinze jours s’étaient écoulés depuis la mort de don Fadrique, six depuis la fuite de don Tello, et déjà don Pèdre, sans armée, était maître de toute la Biscaïe. Le lendemain de son arrivée à Bilbao, il mande l’infant, qui se rend à son palais suivi de deux ou trois écuyers que l’étiquette arrêtait à la porte de la chambre du roi. L’infant n’avait point d’épée, mais seulement une dague à la ceinture. Quelques courtisans l’entourent, et, comme en plaisantant, examinent son arme et la lui enlèvent. Tout à coup un chambellan le saisit à bras le corps, et en même temps un arbalétrier de la garde, Juan Diente, un de ceux qui avaient tué don Fadrique, lui assène par derrière un coup de masse sur la tête. Étourdi du coup, don Juan se dégage, et, tout chancelant, s’approche de Hinestrosa, qui lui présente la pointe de son épée et lui crie de ne pas avancer. Alors les arbalétriers, redoublant leurs coups, le renversent et l’assomment. La place devant le palais était remplie de peuple. Une fenêtre s’ouvre et l’on jette le cadavre au milieu de la foule en criant : « Biscaïens, voilà celui qui se prétendait votre seigneur ! » Et la foule trouva que le roi avait fait justice et qu’il savait défendre les franchises de la Biscaïe[2].


III.

À peine l’infant avait-il rendu le dernier soupir que Juan de Hinestrosa

  1. D’après les usages de Biscaïe, le seigneur devait prêter serment de garder les privilèges, 1o entre les mains de la municipalité (regimiento) de Bilbao ; 2o dans l’église de Saint-Emeterio de la même ville ; 3o sous l’arbre de Guernica ; 4o enfin, dans l’église de Sainte-Euphémie à Bermeo.
  2. Ayala, p. 244 et suiv.