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éducation guerrière qui s’accomplissait sur les champs de bataille d’Italie, la Pologne chanta long-temps l’hymne des légions : « Marche, Dombrowski, marche de l’Italie sur la Pologne ! Bonaparte doit nous apprendre à vaincre. » L’émigration de 1831 était destinée à répandre sur le sol national des semences bien autrement fécondes : la précipitation désolante avec laquelle on a tenté de moissonner avant l’heure n’empêchera pas ces germes impérissables de mûrir en leur saison. L’émigration de 1831 aura réellement inauguré les principes nouveaux des sociétés modernes au plus profond de la vieille Pologne féodale.

Cette direction, qui allait être si puissante, ne marqua cependant pas tout de suite. Les partis gardèrent d’abord dans l’exil les tendances trop étroites et trop diverses qui avaient déchiré la Pologne renaissante : ils restèrent à Paris ce qu’ils avaient été sur la Vistule. Les gens du mouvement, nationaux et républicains, se liaient avec la jeune Allemagne, avec la jeune Italie, avec la jeune Europe, dépêchaient des émissaires, et, disant toujours qu’ils se tenaient prêts, attendaient toujours pour savoir à quoi. Les prétoriens, le général Rybinski à leur tête, méditaient sans cesse quelque coup de main pour sauver l’honneur de leurs armes. Les purs aristocrates ramassaient tout l’argent qu’ils pouvaient, afin de tenir leur rang dans le monde, et, se donnant comme la seule partie saine de la nation, ils passaient le temps à déplorer la folie des jacobins, qui avaient déconcerté leurs plus sages projets. Les constitutionnels persistaient encore à faire de la diplomatie.

Chacun suivait ainsi sa route. Le prince Adam Czartoryski, dont la vie avait été remplie par toutes les grandes affaires de l’Europe, dont la longue expérience, dont l’admirable honnêteté attiraient naturellement le respect de la jeune génération des hommes d’état, le prince Czartoryski ne pouvait croire qu’il ne rendît point à son pays les services les plus efficaces rien qu’en négociant avec les cabinets. Et, de fait, il est sorti de cette politique infatigable une idée neuve et sérieuse, la création d’un panslavisme polonais libéral et humain qui paralysât, chez les Slaves du midi, les manœuvres incessantes du panslavisme barbare des Russes. C’était là certainement une voie vers la délivrance, mais c’était aussi s’acheminer de bien loin. Le vertueux patriote qui avait toujours dirigé le parti contraire au prince Adam n’était pas non plus lui-même un homme d’action immédiate et spontanée. Joachim Lelewel a servi grandement la cause de la nationalité. Sorti de souche rustique, il a toujours gardé une véritable tendresse pour le paysan ; professeur à Vilna, il enflammait la jeunesse par des leçons dont Mickiewicz l’a si magnifiquement remercié dans ses vers ; historien enfin, il a vengé la Pologne des dénigremens de la science allemande, et réclamé pour son pays, dans l’ordre des nations et des destinées humaines, une place plus honorable que celle qu’on lui voulait laisser. Malheureusement, avec