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semblent tristement déconcertés par le rôle trop médiocre auquel la plupart de leurs compatriotes se sont résignés devant la haute cour de Berlin. Ce gigantesque procès pouvait être une glorification vivante de leur nationalité, si tous avaient compris l’exemple de leurs chefs ; mais, pendant que Mieroslawski, Liebelt et quelques autres confessaient avec éclat leur foi patriotique, l’immense majorité des accusés se renfermait dans un système de dénégations puériles et rétractait ses premiers aveux en alléguant des prétextes d’écolier. La grandeur de la cause s’est ainsi trouvée diminuée par la petitesse de la défense, et, à la suite de ces débats monotones, il n’est guère demeuré, dans le pays qu’ils intéressaient le plus, qu’une impression pénible et mauvaise, de la fatigue en place d’enthousiasme.

Au milieu de cette lassitude, à mesure que la procédure publique déroulait l’histoire de cette insurrection méditée si longuement et si vainement essayée, beaucoup ont fini par douter de la vertu qu’auraient jamais leurs efforts ; beaucoup se découragent. La pire désolation qui puisse frapper leur patrie, ce serait pourtant celle-là ; les peuples ne tiennent pas plus que les individus contre le découragement. Dans cette guerre sans fin de la vie, le jour où l’on est vaincu, ce n’est pas le jour où l’on tombe sanglant sur l’arène, ce n’est pas le jour où l’on en sort pour panser sa blessure ; c’est le jour où l’on désespère d’y rentrer, ce sombre jour où l’esprit languissant, le cœur affadi, le corps énervé, ne savent plus obéir aux aiguillons émoussés de la volonté mourante. Homme ou peuple, on périt alors sans remède, si l’on ne se ressaisit point soi-même par un dernier élan de sa conscience. Il faut le dire le plus haut que nous pourrons, la Pologne trouvera bien encore en elle toute la force dont elle a besoin pour cet élan suprême. Ce n’est point ici le langage d’un consolateur banal, c’est l’expression sérieuse d’une conviction profonde.

Je veux raconter les faits où j’ai puisé, pour ma part, cette conviction dont je suis plein ; c’est en les rassemblant qu’elle m’est venue. L’histoire que j’y cherchais, je l’avouerai, c’était l’histoire d’une agonie ; à chaque pas, j’y ai rencontré les promesses d’une résurrection. J’imaginais en commençant qu’il n’y avait plus là qu’à recueillir les saintes reliques d’une nationalité expirante ; je me suis bientôt aperçu que tout cela vivait. Si laborieuse que cette vie soit toujours, elle est d’autant plus intense qu’elle est plus concentrée. Pour la ranimer, pour la prolonger, pour la répandre dans toutes les veines du corps social, pour restaurer ainsi ce grand corps mutilé pendant des siècles, il en doit coûter plus d’efforts que nous ne pourrions seulement le supposer au sein de cette existence facile dont notre civilisation nous gratifie. Ces efforts ne seront pas toujours malheureux. Je choisis exprès ce moment de défaillance que la Pologne semble aujourd’hui traverser pour