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s’apercevoir malgré la tranquillité affectée de son maintien, qu’elle était animée d’une sourde colère. Elle refusa du geste le siège que lui présentait Josette et dit d’un ton solennel : — Vous mériter de grands reproches, mademoiselle…

À ce début, Clémentine, surprise et consternée, se rappela qu’on ne lui avait adressé la veille aucune récrimination, et s’écria avec ingénuité : — Mon Dieu, ma tante, qu’ai-je donc fait depuis hier ?

— Ne m’interrompez pas, répliqua durement Mlle de Saint-Elphège ; je viens vous faire savoir que votre désobéissance a déjà porté ses fruits. Au lieu des réjouissances qu’on se promettait ici, il n’y a que trouble et désolation.

— Oh ! ma tante, vous m’accablez ! murmura Clémentine en baissant les yeux devant le regard irrité de la vieille fille, qui reprit impitoyablement : — Hier, vous avez manqué au respect, a la soumission absolue que vous devez à votre grand-oncle ; je viens vous dire de sa part qu’il vous défend de reparaître en sa présence. — Est-il possible, mon Dieu ! murmura Clémentine, croyant qu’on allait la renvoyer chez les dames du Saint-Sacrement. Apparemment Mlle de Saint-Elphège devina sa pensée car elle ajouta : — Vous ne rentrerez pas au couvent il y a d’autres moyens de vous ranger à votre devoir ; mon oncle a décidé que vous resteriez dans votre Chambre, sans recevoir aucune visite, sans qu’il entre chez vous d’autre personne que votre fille de service.

— Je me soumets volontiers à cette rigueur, répondit Mlle de l’Hubac en s’efforçant de montrer quelque fermeté, quoique son esprit fût tourmenté d’une cruelle inquiétude. Elle supposait tout naturellement que le petit baron venait d’encourir aussi par ses refus la disgrâce de son oncle, et qu’il subirait comme elle quelque châtiment rigoureux. Elle réfléchit un moment sur ce qu’avait dû se passer ; puis incapable de dissimuler son chagrin et ses craintes, elle s’écria en pleurant : — Et Antonin ! mon pauvre Antonin ! est-ce qu’on le tiendra aussi prisonnier, mon Dieu !

— Vraiment, vous vous occupez ainsi de lui ! Dit aigrement Mlle de Saint-Elphège ; que vous importe ce qu’il deviendra ? vous avez refusé de l’épouser ; eh bien ! soyez tranquille, il ne paraîtra pas ici et vous ne reverrez de long-temps.

À ces mots, elle sortit d’un air indigné, et, tirant sur elle la lourde porte de chêne, elle la ferma en dehors double tour.

— Me voilà véritablement sous les verrous ! s’écria Mlle de l’Hubac tout éplorée.

— Bah ! fit Josette en riant ; ne vous tourmentez pas, mademoiselle ; est-ce que la porte du cabinet n’est pas toujours ouverte. Je vais, par exemple, me dépêcher de prendre la clé, de peur qu’on ne s’avise de la venir fermer.