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Champguérin parut tout à coup à ses côtes et lui dit en tournant aussi les yeux vers le couchant : — Regardez là-bas, mademoiselle, cette longue nuée noire dont les bords se déchirent et s’étendent à vue d’œil ; un orage qui vient sur nous. Est-ce que vous avez peur du tonnent ?

— Oui, monsieur, j’en ai grand’peur, balbutia-t-elle en reculant contre les balustres, car M. de Champguérin avait encore avancé d’un pas et se trouvait tout-à-fait sur le balcon. Il s’inclina comme pour la remercier de lui avoir fait place et reprit en respirant profondément : — Qu’il fait bon au grand air ! La chaleur est suffocante dans la salle : on n’y saurait tenir ; par malheur, la pluie nous chassera bientôt d’ici Voyez-vous, voyez-vous, mademoiselle, comme les nuages montent rapidement. dans quelques momens, l’orage éclatera sur le château.

— Le ciel est encore bleu là-haut, dit Clémentine en relevant la tête pour contempler l’azur profond sur lequel se découpaient en vives arêtes le clocher élégant de la chapelle et le faîte crénelé des tours.

— Oui, le temps est serein au-dessus nous ; mais il tonne déjà là-bas, répondit M. de Champguérin. Rentrez, mademoiselle, si vous avez peur de l’orage.

— Oh ! pas encore, murmura Clémentine en tournant son visage vers l’horizon menaçant pour aspirer la vive fraîcheur du vent qui soufflait par rafales et poussait les nuages vers la Roche-Farnoux.

— La pluie tombe à torrens derrière la montagne, dit M. de Champguérin sentez-vous comme le vent qui souffle de ce côté est chargé d’humidité et tout imprégné de la bonne odeur des plantes aromatiques ?

— Oh ! oui, quel doux parfum ont les fleurs sauvages ! dit Clémentine en jetant involontairement les yeux sur un brin d’hysope que M. de Champguérin avait cueilli le matin même sur sa route et qu’il portait encore à la boutonnière. Il s’aperçut de ce mouvement et dit en regardant lui-même le petit épi bleuâtre qui retombait, à demi flétri, sur la broderie de son pourpoint J’ai une prédilection pour cette fleurette Est-ce qu’il ne vous semble pas, mademoiselle, qu’elle forme le joli parterre du monde dans les endroits où elle croît en abondance. comme aux alentours de la Grotte-aux-Lavandières ?

— Il est vrai, monsieur, dit Clémentine, dont les joues devinrent à ce souvenir, pourpres comme le calice d’une rose. Mais M. de Champguérin crut que c’était le dernier rayon du soleil prêt à s’éteindre entre les nuages qui avait jeté un reflet vermeil sur le blanc visage de la jeune fille, et, sans s’apercevoir du trouble où sa présence la jetait, il s’accouda comme elle sur la balustrade et considéra un moment de silence le ciel assombri, l’horizon où commençaient à luire de pâles éclairs, et les profondeurs solitaires de la plaine : Puis il reprit en suivant des yeux le petit baron, qui rôdait toujours sur la terrasse : — Que fait