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d’un air de profonde reconnaissance ; je hésiterai plus maintenant à vous amener Alice.

En ce moment, midi sonna. Au premier coup, le maître d’hôtel avait paru à la porte et annoncé que le dîner était servi. M. de Champguérin ne se retourna pas, et, sans hésiter, offrit la main à Mlle de Saint-Elphège, qui se laissa emmener toute triomphante, tandis que baronne venait seule derrière elle ; suivie d’Antonin et de Clémentine. Celle-ci, ralentissant le pas avant d’entrer, dit précipitamment à son jeune cousin : — C’est fini, vois-tu, Josette ne veut plus garder ces œufs de papillon que tu t’es mis dans l’esprit de lui faire couver sous son fichu.

— Encore un peu de patience, répondit-il ; je suis certain qu’ils vont éclore au premier moment. Tiens, ma bonne Clémentine, si cette mijaurée refuse absolument d’en prendre soin, tu devrais t’en charger toi-même.

— Y penses-tu juste ciel ! interrompit-elle. Passe encore de donner à manger à tes chenilles, de défaire en cachette mes coiffes de gaze pour raccommoder tes filets à papillons ; mais porter en guise de sachet d’odeur cette vilaine petite graine noire !

— Appeler une graine noire les œufs du grand paon de nuit ! fit Antonin avec un geste d’indignation comique.

— Tu perds la tête avec tes papillons, continua Clémentine. Mon Dieu ! serait-ce donc si tu possédais celui que tu me montrais l’autre jour dans tes livres, ce beau papillon bleu qui a des ailes grandes comme ma main !

— Le Ménélas de Surinam ! s’écria-t-il que ne donnerais je pas pour pouvoir aller un jour l’attraper vivant dans les forêts de l’Amérique !

— Mon pauvre Antonin, il vaut encore mieux que tu restes ici pour faire éclore le grand paon de nuit, répondit-elle en riant.

M. de Champguérin prit place à table entre la baronne et Mlle de Saint-Elphège. D’abord il eut pour toutes deux les mêmes attentions ; mais avant la fin du repas il en était venu à s’occuper exclusivement de la vieille fille, qui tout à la fois défiante et charmée, l’écoutait avec un sourire réservé, et baissait souvent les yeux pour dissimuler une émotion involontaire. C’était l’amour bien plus que la haine qui l’animait contre lui ; ce retour inattendu apaisa tout à coup les plus vives souffrances de son cœur ; sa jalousie se calma, son courroux s’éteignit ; elle s’aveugla volontairement peut-être et se sentit prête à pardonner des projets qui lui semblaient douteux maintenant et des torts dont elle n’avait aucune preuve. Ce revirement subit frappa tout le monde. Clémentine le fit remarquer-Com le fit remarquer à son petit cousin.

— Comme ma tante Joséphine est aujourd’hui en belle humeur ! lui dit-elle ; je ne l’avais jamais vue ainsi. Elle parle de bonne grace à M. de Champguérin et lui fait un visage agréable.