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— J’en suis comblé de joie, monsieur le marquis, répliqua le descendant ruiné des Champguérin ; mais j’éprouve en même temps une extrême confusion de votre présence en un lieu si peu digne de vous recevoir.

— Entrons toujours, dit le vieux seigneur ; je suis bien aise de me retrouver en ces lieux, et je tiens pour certain que mes nièces ne sont pas fâchées de m’avoir accompagné.

— Je les supplie aussi de recevoir mes excuses pour la manière dont elles sont reçues ici, dit M. de Champguérin en s’approchant afin de les aider à descendre de litière.

Mlle de Saint-Elphège répondit à ses civilités par une froide révérence et se plaça aussitôt entre lui et Clémentine, qui le saluait timidement et cachait à demi son visage, couvert d’une rougeur subite, derrière le bouquet de fleurs d’églantier dont elle feignait de respirer le léger parfum.

Alors M. de Champguérin offrit la main à la baronne, qui sourit imperceptiblement et lui dit d’un ton gracieux Certes, monsieur, j’étais loin de penser que j’aurais un jour le plaisir de venir ici.

— J’avoue que le bonheur de vous y recevoir était la chose du monde à laquelle je m’attendais le moins, répondit avec feu M. de Champguérin. Ces paroles, qui s’adressaient à la baronne vibrèrent dans le cœur de Clémentine ; la pauvre enfant tournait en ce moment les yeux vers M. de Champguérin, et il lui sembla qu’un tendre regard, un amoureux rayon était tombé furtivement sur elle.

On entra dans une pièce du rez-de-chaussée dont l’aspect rappela tout-à-fait à Mlle de Saint-Elphège la grande chambre où elle avait couché le jour de son arrivée à la Roche-Farnoux. Les murs étaient tapissés d’une brocatelle jaune que l’humidité avait diaprée de taches fauves. Les sièges, boiteux pour la plupart, étaient recouverts d’une étoffe de soie fanée et zébrée d’innombrables déchirures. Une pendule dont le balancier était immobile depuis nombre d’années, quelques vieux portraits grimaçant contre les panneaux, un miroir verdâtre dans un grand cadre d’ébène, complétaient l’ameublement de cette salle de réception. Les fenêtres, qui s’ouvraient de plain-pied sur le jardin, étaient dégarnies de rideaux, et les vitres fêlées tremblaient dans leurs châssis de plomb. Le jardin n’étant plus qu’une espèce de terrain vague où quelques vieux ifs élevaient encore leur tête sombre au milieu d’un parterre de mauves et d’orties. La vasque desséchée d’une fontaine faisait perspective au fond d’une tonnelle dont les piliers inversés gisaient dans l’herbe, et partout les rubus, armés d’épines cruelles, étendaient leurs rameaux tenaces. La vue était bornée de ce côté par le mur d’enceinte mais le temps avait pratiqué dans cette