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certains papiers que la tour de Champguérin comme on l’appelait alors, était un château presque aussi beau que celui de la Roche-Farnoux.

— Lequel soutint à la même époque un siège mémorable, ajouta le marquis. Gaétan de Farnoux, mon troisième aïeul, le défendit très vaillamment contre les huguenots qui venaient de prendre la tour de Champguérin.

— Quel malheur qu’ils ne l’aient pas emporté d’assaut ! ils l’auraient rasé aussi ! pensa Mlle de Saint-Elphège.

— Les Champguérin ne se sont plus relevés depuis ce temps-là, continua le marquis ; au lieu de reconstruire la tour, ils allèrent prendre gîte ailleurs, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; enfin le grand-père de celui-ci s’établit là-bas sous la hauteur.

— Est-ce que le nouveau château est aussi beau que l’ancien ? demanda Clémentine en parcourant du regard les plateaux inférieurs, où l’on n’apercevait aucune trace d’habitation.

— C’est une vraie taupinière, répondit dédaigneusement le marquis ; je n’en voudrais pas pour y loger mes chiens.

Et aussitôt il donna l’ordre de se remettre en route. La cavalcade descendit avec précaution le versant de la montagne. et pénétra, par un chemin à peine tracé, dans une gorge étroite, au fond de laquelle les pluies l’hiver avaient laissé de loin en loin quelques flaques d’eau. Ces petits bassins naturels, que les ardeurs de l’été devaient bientôt tarir, étaient bordés de jasmin jaune et de buissons d’églantiers dont les rameaux formaient de longues guirlandes de feuilles d’un vert foncé et de fleurs d’un pâle incarnat. À l’aspect de ces fleurs sauvages, Clémentine se pencha hors de la litière en s’écriant d’un air ravi : — Les belles petites roses ! que je voudrais en avoir un bouquet !

— Ma nièce de l’Hubac a les goûts champêtres ! dit le marquis du fond de sa chaise à porteurs. Allons, charmante bergerette, mettez pied à terre et cueillez toutes les fleurs de ces buissons. Voici justement votre cousin qui vous aidera.

— Profitez bien vite de la permission, dit Mlle de Saint-Elphège en poussant légèrement Clémentine, qui s’élança toute joyeuse hors de la litière et alla tomber presque entre les bras du petit baron, qu’elle entraîna aussitôt dans le creux du ravin. Mlle de Saint-Elphège les suivit un moment des yeux comme frappée d’une idée subite. — Eh ! eh ! se dit-elle avec satisfaction, il me semble que mon oncle saisit toutes les occasions de rapprocher ces deux enfans. Si par miracle il voulait une seule fois dans sa vie faire un mariage : Le ciel veuille lui inspirer cette bonne intention Ah ! M. de Champguérin, vous ne seriez revenu que pour assister aux noces de Clémentine !

Tandis que la vieille fille se complaisait dans ces réflexions, le