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voir Dieu lui-même mystérieusement uni à l’humanité, Servet imagine sa théorie d’un Christ idéal qui n’est point Dieu, qui n’est point un homme, qui est un intermédiaire entre l’homme et Dieu. C’est l’idée centrale, le type des types, l’Adam céleste, modèle de l’humanité et par suite de tous les êtres. Pour l’église, le Christ est Dieu ; pour le panthéisme, le Christ n’est qu’un homme, une partie de la nature. Servet place entre la Divinité, sanctuaire inaccessible de l’éternité et de l’immobilité absolue, et la nature, région du mouvement, de la division et du temps, un monde intermédiaire, celui des idées, et il fait du Christ le centre du monde idéal[1]. De la sorte, il croit concilier le christianisme et le panthéisme en les corrigeant et les tempérant l’un par l’autre.

L’effort de Servet pour échapper au panthéisme est manifeste. Il reproche à Zoroastre et à Trismégiste d’avoir admis entre la nature et Dieu une union trop immédiate[2] ; il essaie de conserver les idées de création et de créateur. « Tous les êtres, dit-il, sont sans doute consubstantiels en Dieu, mais par l’intermédiaire des idées, c’est-à-dire par l’intermédiaire du Christ. » Le Christ seul est fils de Dieu, engendré immédiatement de sa substance ; les autres êtres ne sont fils de Dieu que par adoption et grace à la médiation du Christ. Le Christ est le nœud de la terre et du ciel, le pont qui comble l’abîme entre l’éternité et le temps, entre le fini et l’infini, entre la nature et Dieu[3].

Que serait Dieu sans le Christ ? Un principe inaccessible, retiré en soi dans les muettes profondeurs d’une existence absolue, une cause sans effet, un soleil sans lumière. Le Christ est la lumière de Dieu, sa manifestation la plus parfaite, son image la plus pure, sa personne[4]. En ce sens, Christ est égal à Dieu ; il est Dieu même, mais Dieu visible, participant des créatures[5], contenant en soi l’humanité et tous les êtres

  1. « Christus ipse est idearum pelagus aeternum. » (Christ. Rest., p. 278.) - « Quemadmodum in medio immensitatis et inaccessae lucis apparet solaris vultus : ita in medio altitudinum et profunditatum Dei apparuit ejus oraculum, Jesu Christi persona. » (P. 99.)
  2. « Zoroaster quoque patrem omniformis mundi dixit esse omniformem Deum, nihil de Christo cogitans, quem nec angeli tum cognoscebant. » (Christ. Rest., p. 212 sqq.)
  3. « In solo Christo est Deus. » (Dial. de Trin., p. 281.) - « Primario tamen in Christo ipso videtur Deus. In re quavis pene palpatur Deus (Act. apost., 17), sed primario in Christo. » (Ibid., p. 282.)
  4. « Deus est, quia forma Dei, species Dei, hahens potentiam et virtutem Dei. Dicitur Deus per virtutem, sicut homo per carnem.” (Christ. Rest., lib. I, p. 12.) - « Primum exemplar in archetypo illo superiori mundo fuit homo Christus Jesus. » (Ibid., lib. III, p. 91 de Mead.) - « In Christo vero conjunguntur Deus et homo in unam substantiam, unum corpus, et unum novum hominem. » - « Atque ita Christus omnis mixtionis et unionis specimen et protetypus : qui non solum in se ipso humana commiscet et unit, sed et divina humanis in unam veram substantiam. » (Christ. Rest. , p. 261.)
  5. « Verus ille Messias Jesus crucifixas, Dei et hominis participationem habet, ut, non poterit dici creatura, sed particeps creaturarum. » (Christ. Rest., p. 233 de Mead.)