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compte, ajoute Calvin avec ironie, les diables eux-mêmes contiennent Dieu ? — En doutes-tu ? réplique sur le même ton l’indomptable panthéiste, » perdant ici toute prudence, mais n’hésitant pas à livrer sa vie plutôt que de désavouer sa foi.


V. – SYSTELE THEOLOGIQUE DE MICHEL SERVET. — SA THEORIE DU CHRIST.

Nous connaissons dans ses principes généraux la doctrine philosophique de Michel Servet. Comment applique-t-il ce platonisme panthéiste à la restitution du christianisme, but suprême de ses efforts ? De longs développemens seraient nécessaires pour exposer dans tous ses détails cette vaste entreprise. Nous nous bornerons à porter la lumière sur le point fondamental, savoir la théorie du Christ. On peut la résumer en quelques mots : les idées prises dans leur totalité sont pour Servet la lumière incréée ou le Verbe de Dieu. Or, elles émanent toutes d’un type général et supérieur, qui est le type de l’humanité, modèle primitif de tous les êtres. Cette idée centrale où s’unissent toutes les idées, ce soleil du monde intelligible, ce type supérieur et primitif, cet exemplaire éternel de l’humanité, c’est le Christ. Voilà une définition du Christ qui peut paraître bizarre, obscure, extraordinaire ; essayons de l’éclaircir : elle fait le fond de la doctrine religieuse de Servet.

Au premier coup d’œil jeté sur cette conception étrange, elle rappelle plus d’un souvenir. Dans la doctrine kabbalistique[1], nous trouvons aussi entre la nature et Dieu un monde intelligible, le monde des Séphiroth, et la première Séphira, celle qui embrasse toutes les autres, c’est l’Adam céleste, type de l’humanité. Spinoza, qu’on a plusieurs fois accusé d’avoir emprunté son panthéisme à la kabbale, définirait volontiers Jésus-Christ une idée, un mode éminent et supérieur de la pensée éternelle. L’école hégélienne enfin prétend réduire à son tour le Christ à une idée, à l’idée de l’humanité. Nous constatons ces analogies curieuses et étonnantes sans vouloir le moins du monde en abuser. Ce qui doit particulièrement nous tenir en garde, c’est une première différence qui en suppose beaucoup d’autres. Ni la kabbale, ni Spinoza, ni Hegel, ne reconnaissent la vérité des faits de l’Évangile. Leur Christ est un être de raison et non un personnage historique. Servet, au contraire, confesse expressément la naissance miraculeuse de Jésus-Christ et sa résurrection surnaturelle. Cette foi positive est chose grave et de conséquence. Gardons-nous donc de l’attrait quelquefois trompeur des analogies, et, avant tout rapprochement, cherchons à nous rendre un compte exact et fidèle de ce qu’on appellerait aujourd’hui en Allemagne la christologie de Michel Servet.

  1. Voyez le savant ouvrage de M. Franck sur la Kabbale, pages 161 et 178.