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est vieille comme le monde, et fait le fonds commun de toutes les religions et de tous les systèmes philosophiques. Partout proclamée dans les livres de l’Ancien Testament, elle a été connue des prêtres de la Chaldée et de l’Égypte. Zoroastre et Hermès l’ont enseignée à Orphée, par qui elle s’est transmise à la Grèce, à Pythagore, à Parménide, à Platon[1]. Tout est un, voilà le mystère des mystères, la clé de tous les symboles, le dernier mot de la sagesse divine et humaine. L’Évangile est venu imprimer à cette doctrine le sceau de la consécration suprême. Qui me voit, dit Jésus, voit mon père.- Mon père et moi, nous ne sommes qu’un, dit saint Jean ; il nous a fait participans de son esprit. — C’est en lui, dit saint Paul, que nous avons la vie, le mouvement et l’existence. — Ainsi l’ancienne loi et la nouvelle, la raison et la foi, les méditations des sages et les symboles des sanctuaires, tout s’accorde à proclamer la consubstantialité universelle des êtres.

Servet était tellement convaincu de la vérité de cette doctrine, que devant ses juges mêmes, en face de la mort, il eut le courage de la confesser. Calvin, qui avait fait des doctrines panthéistes de Servet un des principaux chefs de l’accusation capitale intentée contre lui[2], l’interpelle au sein du conseil de Genève[3] : « Maintiens-tu que nos ames soient un sourgeon de la substance divine ; qu’il y ait dans tous les êtres une déité substantielle ? — Je le maintiens, répond Servet. — Mais, quoi ! misérable ! s’écrie Calvin en frappant du pied ; ce pavé est-il Dieu ? Est-ce Dieu qu’en ce moment je foule ? — Sans aucun doute. — A ce

  1. Christ. Rest., lib. IV, ad calcem.
  2. Voici les articles XXIV, XXVI, XXVII de la plainte portée par Nicolas de La Fontaine et rédigée par Calvin :
    XXIV. Que l’essence des anges et de nos ames est de la substance de Dieu.
    XXVI. Item, au lieu de confesser trois personnes en l’essence de Dieu, ou trois hypostases qui aient chacune sa propriété, il dict que Dieu est une seule chose contenant cent mille essences, tellement qu’il est une portion de nous, et que nous sommes une portion de son esprit.
    XXVII. Item, suivant cela que non-seulement les patrons de toutes créatures sont en Dieu, mais aussi les formes essentielles, tellement que nos ames sont de la semence de la parole de Dieu.
    Calvin, dans plusieurs de ses écrits, revient avec force sur ce panthéisme de Servet. « Surtout, dit-il (Instit. chrét., livre I, ch. XIII, p 38), il y a dans Servet un blasphème exécrable… car il affirme à pur et à plat qu’il y a des parties et des partages en Dieu, et que chacune portion est Dieu même ; que les ames des fidèles sont coéternelles et consubstantielles à Dieu, combien qu’ailleurs il attribue déité substantielle, non-seulement à nos ames, mais à toutes choses créées. » - Calvin dit ailleurs (inst. chrétV, I, chap. XV) : « Or, devant que passer plus outre, il est nécessaire de rembarrer la resverie des manichéens, laquelle Servet s’est efforcé de remestre sus de notre temps… C’est une rage trop énorme de déchirer l’essence du Créateur à ce que chacun en possède une portion… La création n’est point une transfusion, comme si on tirait le vin d’un vaisseau ou une bouteille, mais c’est donner origine à quelque essence qui n’était point. »
  3. Calvin. opp. theol., Refut. error. Serveti, p. 703.