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sont cités dans ses ouvrages à côté des saintes Écritures. Il invoque Zoroastre avec Moïse, Philon avec saint Paul. Numénius avec Origène, Porphyre avec saint Clément. Ce mélange d’autorités sacrées et d’autorités profanes le distingue profondément des autres panthéistes du XVIe siècle, tels que Bruno et Cesalpini, et lui donne un caractère qui lui est propre. Il est à la fois panthéiste et chrétien sincère. Il applique la métaphysique néo-platonicienne, non point à miner sourdement ou à battre résolûment en brèche les dogmes révélés, mais à les transformer en les interprétant. Il veut sincèrement régénérer le christianisme par le panthéisme ; c’est ce qu’il appelle le restituer.

Assurément, cette tentative, tout impraticable au fond qu’elle peut paraître, ne manque ni d’une certaine grandeur, ni d’une certaine originalité. Néanmoins, si elle assigne à Servet un rôle à part au milieu de ses contemporains, ce serait mal la comprendre que de s’imaginer qu’elle ait été conçue pour la première fois par un homme du XVIe siècle. Dès les premiers temps du christianisme, nous la voyons paraître avec éclat et susciter de puissantes hérésies. Frappée par l’église, elle se renouvelle sans cesse, et poursuit sa route, même à travers la nuit intellectuelle du moyen-âge. Sabellius, Praxée, Eutychès dans le monde ancien, Scott Érigène, Amaury de Chartres et David de Dinant dans les âges modernes, forment à Michel Servet une suite non interrompue de précurseurs. Lui-même n’est qu’un anneau de cette chaîne d’interprètes panthéistes du christianisme, qui se renoue à Spinoza et se prolonge jusqu’à Schelling et Hegel, jusqu’à Schleiermacher et Strauss. Rendons-nous compte de cet effort persistant pour introduire le panthéisme au sein du christianisme, tentative toujours vaincue et toujours renaissante à laquelle le nom de Michel Servet doit rester désormais attaché.


III. — LES HÉRÉSIARQUES PANTHÉISTES AVANT MICHEL SERVET. — SABELLIUS, EUTYCHES, SCOTT ÉRIGÈNE, AMAURY DE CHARTRES.

L’idée fondamentale du christianisme, c’est l’idée de l’homme-Dieu. La nature divine et la nature humaine unies dans le Christ ; Dieu descendant, par un miracle de l’amour, des hauteurs infinies de l’existence absolue pour devenir homme ; l’homme désormais capable de sortir de l’abîme de corruption où sa faiblesse le retient plongé pour s’élever, sur les traces de Dieu même, jusqu’à la perfection et à la félicité éternelles, tel est bien le germe de cette doctrine sublime qui, sur la route de Damas, illumina l’esprit de saint Paul, et qui, peu d’années après, remuait et subjuguait le monde.

Un Dieu mort pour les hommes, un Dieu crucifié, quoi de plus propre à séduire, à exalter l’imagination, à toucher et attendrir le cœur ?