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Carmona, venait de mander auprès de lui doña Aldonza. Cette marque de préférence fut aussitôt interprétée comme le signal de la complète disgrace de Marie de Padilla. Hinestrosa son oncle, considéré comme le chef de sa famille, était haï par une partie de la cour. Confians dans la faveur éclatante d’Aldonza Coronel, les ennemis des Padilla crurent sans doute prévenir les secrets desseins du prince en portant un premier coup au ministre, parent de la maîtresse délaissée. Le gouverneur de la tour del Oro, sans doute à l’instigation d’Aldonza, complice peut-être ou instrument d’une intrigue de cour, montra le blanc seing du roi à l’alguacil-mayor et le somma de faire arrêter Juan de Hinestrosa. Sur-le-champ l’ordre fut exécuté, et le même jour Diego de Padilla fut également jeté en prison. A la facilité avec laquelle ces deux hommes, naguère si puissans, tombaient du faîte des grandeurs dans un cachot, sans qu’une voix s’élevât pour les défendre, à l’obéissance aveugle que trouvaient les ordres les plus extraordinaires donnés au nom du roi, on reconnaît combien les Padilla étaient détestés, et surtout combien don Pèdre était absolu et redouté dans ses états, où deux ans auparavant il ne trouvait que des rebelles. Mais, si Marie de Padilla ne pouvait prévenir les infidélités de son amant, on vit bientôt que seule elle avait sa confiance, et qu’il était dangereux de provoquer cette reine indulgente. Instruit par elle de l’arrestation de Juan de Hinestrosa et de son neveu, le roi fit éclater son indignation. Il s’empressa de retourner à Séville auprès de Marie de Padilla et s’efforça de rassurer ses parens par de nouvelles faveurs. Quant à doña Aldonza, brusquement abandonnée à Carmona, elle fut bientôt obligée d’aller cacher sa honte dans le couvent de Sainte-Claire, où sa vie s’acheva, dit-on, dans le repentir. Il ne paraît pas que l’alguacil-mayor ait ressenti quelque effet de la colère du roi. Il n’était coupable que par l’excès de son obéissance, et c’est une faute que les despotes pardonnent facilement[1].


XI.

VENGEANCES DE DON PEDRE. — 1358.


I.

A la haine implacable que don Pèdre renfermait dans son cœur contre les riches-hommes qui avaient joué un rôle dans la ligue, se joignaient

  1. Ayala, p. 234. Quelque étrange que puisse paraître cette anecdote, je n’ai point hésité à la rapporter sur l’autorité d’Ayala, qui fut peut-être témoin de cette intrigue de palais. En effet, il était probablement alors à Séville, d’où nous le verrons bientôt partir avec la flotte du roi. Il est remarquable que Zuñiga ait gardé le silence sur cet événement, après avoir donné place aux contes populaires sur Maria Coronel. V. Anal. de Sevilla, année 1358.