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et l’année suivante ses Dialogues[1]. Tout son système philosophique et religieux est en germe dans ces deux écrits, qui firent un tel scandale en Allemagne, que Servet changea son nom en celui de Michel de Villeneuve, et gagna la France.

En 1553, il est à Paris et semble avoir abandonné des spéculations périlleuses pour étudier la médecine sous deux maîtres illustres, Sylvius et Fernel. Il prend le bonnet de docteur et professe avec éclat au collège des Lombards. Portant dans cette carrière nouvelle les qualités et les défauts de sa nature, esprit chimérique à la fois et d’une pénétration supérieure, il donne dans les visions de l’astrologie judiciaire[2] et découvre ou plutôt devine la circulation du sang[3]. Son goût pour la polémique ne l’avait pas abandonné. Dans un traité sur les sirops[4], médication récemment introduite par l’école arabe, il attaque avec violence Galien et la faculté, et, pour calmer cette querelle, le parlement est obligé d’intervenir.

Au milieu de ces nouveaux orages, la passion des questions religieuses, en apparence assoupie, vivait toujours au fond de l’ame de Servet. Nous en avons un assuré témoignage dans le récit que nous fait Théodore de Bèze des premières relations du théologien espagnol avec Calvin. C’est à Paris que ces deux hommes se mesurèrent pour la première fois, et que la contradiction opiniâtre de Michel Servet jeta dans l’ame orgueilleuse et farouche de son adversaire le premier germe d’une haine qui ne s’éteignit plus. Après plusieurs conférences,

  1. Dialogorum de Trinitate libri duo. De justitia regni Christi capitula quatuor. Per Michaëlem Serveto, aliàs Reves, ab Arragonia Hispanium. MDXXXIII, in-8o, six feuilles.
  2. Voyez le Christianismi Restitutio, p. 259.
  3. On attribue généralement à Harvey la découverte de la circulation du sang, et, en effet, c’est Harvey qui, le premier, l’a démontrée par des expériences précises et s’en est formé une idée complète ; mais, plus de soixante ans avant Harvey, on peut dire que Servet lui avait frayé la route en décrivant exactement la circulation pulmonaire, et marquant avec une sagacité étonnante le rôle de l’air et de la respiration dans la transformation du sang veineux en sang artériel. Le passage mémorable qui renferme les idées de Michel Servet sur la circulation du sang se trouve dans le Christianisrni Restitutio, lib. V, p. 170. Un endroit moins connu et tout aussi important, c’est celui où Servet parle des valvules du cœur et de leur usage dans le mouvement de systole et de diastole qui commence avec la vie. Je cite ce passage qui peut-être n’a jamais été remarqué : Quomodo esset anima in corde, si cor nec diastolem habet, nec systolem ? Nec cor, nec pulmo ibi moventur (dans la matrice). Valvule cordis, seu membranoe illoe ad orificia vasorum, non aperiuntur donec nascitur homo. (Christ. Rest., p. 259.)
  4. Syruporum universa ratio, ad Galeni censuram diligenter exposita : cui post intégram de concoctione disceptationem, praescripta est vera purgandi methodus cum expositione aphorismi : concocta medicari, in-8o, 1537. — Réimprimé à Venise en 1545, et à Lyon en 1546.